Volume 7 (2016) Issue 1
Analyse
d'une épreuve de droit civil
Karl-Heinz
Eggensperger (Potsdam, Allemagne)
Abstract
(anglais)
In
the present paper, the study skills that are required for succeeding
at French language courses for specific purposes at UNIcert®
III level are discussed. The
aim is to equip students with the linguistic tools they need so as to
deal with typical academic situations as encountered in higher
education courses for law students in France, the so-called travaux
dirigés. In order to be qualified to
work as lawyers in the future, students have to be able to solve
legal problems. A selected family law
case illustrates the necessary foreign language and professional
requirements; annotated
excerpts from students' examinations
demonstrate the need for teaching foreign languages for specific
purposes.
Key
words: French for specific purposes, legal French, family law,
language requirement, professional requirements, UNIcert®
Abstract
(allemand)
Im
Mittelpunkt des vorliegenden Beitrags stehen die Anforderungen im
fachbezogenen Französischunterricht auf der Niveaustufe
UNIcert® III.
Studierende sollen befähigt werden, hochschulbezogene Situationen
während ihres rechtswissenschaftlichen Studiums in Frankreich in den
sogenannten travaux dirigés zu bewältigen. Als künftige
Rechtsanwälte müssen sie imstande sein, Rechtsprobleme zu lösen.
Ein Fall aus dem französischen Familienrecht illustriert die
fremdsprachlichen und fachlichen Anforderungen; Auszüge aus
korrigierten Klausuren belegen die Notwendigkeit fachbezogenen
Fremdsprachenunterrichts.
Stichwörter:
Fachsprache Französisch, Rechtsfranzösisch, Familienrecht,
fremdsprachliche Anforderungen, fachliche Anforderungen, UNIcert®
1 Introduction
La
présente contribution reprend et développe les réflexions sur la
démarche didactique du français
sur objectif spécifique
(FOS) dénommé en milieu universitaire français
sur objectif universitaire
ou FOU. Il s'agit d’appliquer la méthodologie de traitement d'un
discours universitaire spécifique à une formation en langue
française intégrée dans un bi-cursus universitaire droit
français et droit allemand (cf.
2e
chap). Les étudiants de langue maternelle allemande suivent en
parallèle des enseignements dans les deux systèmes de droit et un
cours de langue. Ils aspirent à une formation linguistique efficace
qui les prépare aux partiels de leurs cours disciplinaires. Pour
répondre à leurs attentes, une épreuve qui se rapproche de très
près des examens dans leur formation disciplinaire leur est proposée
à la fin du cours de langue. En droit, il s’agit de réussir à
plusieurs épreuves de productions écrites dont les plus importantes
sont le
cas pratique,
la
dissertation juridique
et le
commentaire d’arrêt.
En droit civil, c’est souvent un cas pratique qui est à résoudre.
L'analyse
a posteriori d'une épreuve prend en considération le fait que le
travail de l’étudiant ne se résume pas à la restitution d’un
cours magistral. La réussite dépend dans une large mesure des
résultats obtenus aux examens écrits dans la discipline et aussi
d’autres notes. La présente contribution se penche sur la question
suivante : Quelles sont les composantes les plus importantes
d'une compétence complexe2
nécessaire à la réussite d’un examen disciplinaire en droit de
la famille?
Afin
de répondre à la problématique posée, nous mènerons
une démarche en trois temps. Le 4e
chapitre sera consacré au référentiel de compétences qui détaille
les connaissances juridiques préalables pour pouvoir résoudre un
problème de filiation ainsi que les savoirs linguistiques
nécessaires à la rédaction de la solution. On peut en déduire
dans quelle mesure il faut passer d’un concept de formation
linguistique à celui de formation aux compétences universitaires.
Ces derniers étant indispensables à l’accomplissement de tâches
complexes qui amènent les étudiants à utiliser des ressources
cognitives et des ressources matérielles.
Le chapitre suivant
précise les préalables cognitive et linguistique pour résoudre un
cas pratique. Ce type d'épreuve est destiné à vérifier la
capacité de l'étudiant à appliquer ses connaissances à une
situation concrète dont les données de fait sont fournies. Il
s’agit en l'occurrence, de s’appuyer sur ses connaissances et
savoir faire disciplinaires pour conseiller une mère de 72 ans sur
différents problèmes posés par les relations de ses fils. Il sera
également question de l'utilité de l'approche transversale ainsi
que de l'entrée linguistique et discursive pour élaborer un
programme de formation efficace pour le contexte donné.
Le 6e
chapitre sera consacré aux résultats de l'épreuve. L'analyse de
quelques copies permettra de mieux cerner les difficultés des
étudiants allophones dans la résolution d'un type d’épreuve qui
compte parmi les tâches principales des étudiants en droit. En
conclusion, un
type nouveau de cours en FOU sera conceptualisé.
2 Une formation en langue française intégrée dans un cursus
disciplinaire3
Le
plus grand nombre des cours de français langue étrangère proposés
par les centres de ressources langue
dans les établissements d’enseignement supérieur en Allemagne
regroupent des étudiants de disciplines différentes. Pour cette
raison, ils procèdent d’une démarche qui rappelle l’approche
transversale (Eggensperger 2014b). Conformément aux descriptifs, les
cours doivent conduire à la maîtrise de situations linguistiques en
rapport avec les études universitaires et les professions
académiques. Quelques enseignants optent plutôt pour une approche
disciplinaire centrée sur les sciences économiques (Dresemann 2010)
et la médecine (Mügge 2010).
La
formation linguistique, dont il est question dans
cet article, fait
partie intégrante d'un double cursus droit
français – droit allemand
proposé conjointement par plusieurs établissements d'enseignement
supérieur en France et en Allemagne sous l'égide de l'Université
franco-allemande (UFA) à Sarrebruck qui le dénomme cursus
intégré.
En 2015, l’UFA propose plus de 170 cursus
intégrés
binationaux. Les étudiants de ces cursus bénéficient non seulement
d’une formation dans leur discipline, mais acquièrent également
des compétences linguistiques et interculturelles. Ils effectuent un
séjour d’études à l’étranger et accomplissent la moitié de
leur parcours au sein d’un groupe mixte dans le pays partenaire. Il
est évident qu’on ne peut pas étudier un système de droit
étranger sans maîtriser la langue correspondante. Cette nécessité
conduit à associer l’étude d’un système de droit étranger à
l’apprentissage de la langue.
3 Le contexte de la
formation à l’université de Potsdam
Depuis
1994, l’UFR de Droit
et Science Politique (DSP)
et la Faculté
de droit
de l'université de Potsdam proposent un cursus
intégré
droit
français et droit allemand.
Sur demande des deux directeurs du programme du cursus
intégré,
le centre de ressources langue
a commencé à proposer un
cours de langue spécifique peu de
temps après la signature de la convention entre l’UFR de Droit
et Science Politique
et la Faculté
de droit
de l'université de Potsdam (Allemagne).
3.1 Les enseignements
en droit
Les
étudiants inscrits au cursus
intégré ont, pendant certaines périodes du semestre, une double charge
de cours. En droit allemand, les cours magistraux et les travaux
dirigés
se
déroulent conformément au rythme prévu. S'y ajoutent, en 1ère et
2e année du cursus
intégré,
trois cours magistraux de 30 unités à 45 minutes chacune. Ils sont
dispensés à Potsdam, chaque semestre, par des enseignants de
l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Au cours du
semestre d'été 2015, le programme du cursus
intégré
prévoyait deux cours magistraux, l’un sur le droit administratif
et l’autre sur le droit de la famille. À l’issue de chaque cours
magistral, les étudiants doivent passer un partiel sur la branche de
droit correspondante.
3.2 L'enseignement en
langue française
Il
résulte du cadre institutionnel des groupes d'étudiants assez
homogènes dans les cours de langue française intégrés au double
cursus. De temps en temps, il y a quelques étudiants inscrits en
sciences politiques ou d'administration, mais la grande majorité
fait des études de
droit.
En
principe, la participation aux cours est libre. Mais la formation,
centrée sur des tâches qui soient au plus près des exigences
disciplinaires, est un des facteurs de motivation les plus importants
pour garantir l’assiduité aux séances. En plus, la note du
certificat UNIcert® III peut, sur demande de l'étudiant, se
substituer à une autre obtenue dans un partiel disciplinaire.
Cependant, pour profiter de cette option, il faut passer l'épreuve
complète pour obtenir le certificat UNIcert® III qui comprend
quatre parties: production écrite et
production orale ainsi que compréhension écrite et compréhension
orale (Eggensperger
2014b: 83s.).
Les
cours UNIcert® préparent à la maîtrise de situations
linguistiques en rapport avec les études universitaires et les
professions académiques4.
Ils permettent de se familiariser
avec les problèmes posés par les échanges interculturels et aident
les étudiants à développer une certaine autonomie dans
l’apprentissage des langues.
Ce
cadre référentiel de
compétences se décline ensuite en contenus de formation adaptés
aux besoins identifiés. Le programme du cours de langue, pour être
motivant et efficace, doit s'aligner sur les domaines de droit
présentés lors des cours magistraux. Au semestre d'été 2015, les
deux premiers tiers de l'enseignement avec environ 40 heures étaient
consacrés au droit administratif, le dernier d'une quinzaine
d'heures au droit de la famille.
4 Un référentiel
de compétences spécifique
Un référentiel de
compétences d'un cours de langue intégré à un cursus
disciplinaire présente certaines particularités par rapport à une
formation en français «général». En fonction des objectifs, il
comporte une sélection des savoirs disciplinaires à enseigner. Les
savoirs linguistiques spécifiques à un domaine spécialisé donné
sont identifiés à partir des contenus notionnels.
C’est dans ce contexte
que sont répertoriés les savoirs juridiques indispensables à la
résolution d’un cas pratique portant sur la filiation. Ils sont
visualisés par des cartes heuristiques ou schémas. Le lexique
spécialisé que les apprenants doivent assimiler et savoir utiliser
est intégré dans de petits textes en dessous de chaque carte
heuristique. Ces énoncés constituent une définition ou une
explication des concepts de la carte heuristique :
Schéma
1: La filiation et les modes d'établissement du
lien de filiation maternelle et paternelle
Le terme de filiation
désigne le lien qui relie un enfant à ses parents ou à l'un d'eux.
Elle peut s'établir par procréation charnelle, par adoption ou par
procréation médicalement assistée. Dans la procréation
médicalement assistée (PMA), le couple recourt à l’aide de
l’assistance médicale, mais en utilisant ses propres gamètes.
L’engendrement repose sur une procréation impliquant les deux
partenaires. La distinction des filiations légitime et naturelle a
été abandonnée en 2005 :
Schéma
2: Les normes juridiques régissant l'établissement non contentieux de
la filiation par procréation charnelle
En
principe, la filiation s'établit naturellement par la voie
extrajudiciaire selon les modes de preuves prévues par la loi: les
présomptions légales, la reconnaissance volontaire et la possession
d'état constatée par un acte de notoriété. Dans un couple marié,
la filiation paternelle s'établit automatiquement : le mari est
présumé être le père de l'enfant. Son nom est indiqué dans
l'acte de naissance. Il n'a pas besoin de procéder à une
reconnaissance et n'a aucune démarche à effectuer pour établir la
filiation de son enfant. Lorsque les parents ne sont pas mariés, la
filiation s'établit différemment à l'égard du père et de la
mère. Pour la mère, il suffit que son nom apparaisse dans l'acte de
naissance pour que la maternité soit établie. En revanche, pour
établir sa paternité, le père doit faire une reconnaissance (avant
ou après la naissance de l'enfant) (cf. art. 316, al. 1 du Code
civil).
Schéma
3: Le régime des actions judiciaires relatives à la filiation
En cas d'établissement
contentieux, il faut distinguer deux actions judiciaires relatives à
la filiation: les unes tendent à faire déclarer en justice
l'établissement d'un lien de filiation; les autres ont pour objet de
contester le lien de filiation aux fins d'en obtenir l'annulation.
L'enfant, ou sa mère s'il est mineur, peut engager l'action en
recherche de paternité pour établir un lien de filiation avec celui
qu'il pense être son père. La procédure s'effectue devant le
tribunal de grande instance.
Schéma 4: L'établissement de la
filiation par jugement
Dans l'hypothèse où la
filiation est établie par jugement, on distingue quatre actions:
- L'action en recherche de maternité est très rare. Elle ne peut être engagée que si la filiation n'est pas volontairement établie par la mère.
- L'action en recherche de paternité hors mariage est la procédure judiciaire engagée pour contraindre un père à reconnaître un enfant.
- La présomption de paternité est écartée lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père. C'est le cas, par exemple, lorsqu'un autre homme a reconnu l'enfant avant sa naissance et dans d'autres hypothèses. Ses effets peuvent être rétablis par jugement.
- La possession d'état est la prise en compte de la réalité vécue du lien de filiation. Elle s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre un enfant et la famille à laquelle il est dit appartenir. Un acte de notoriété peut être demandé pour prouver la possession d'état. Il est délivré par le juge.
5
Une
épreuve proche
des examens dans
la formation disciplinaire
La
version originale du cas pratique soumis a été publiée il y a dix
ans (Fournier 2005). Vu l’évolution des règles juridiques en
droit de la famille, les questions soumises aux étudiants ont été
actualisées. On a également réduit leur nombre et leur complexité
par rapport à la version originale. Une spécialiste en droit de la
famille de l'université Paris
Ouest Nanterre la Défense
a vérifié les consignes avant qu'elles n'aient été données à
des étudiants en fin de 1ère
année de droit5.
Conformément aux dispositions du cursus-cadre UNIcert®, les
étudiants avaient 180 minutes pour répondre aux questions.
L’utilisation des dictionnaires unilingue et bilingue ainsi que du
Code
civil
en version électronique
était autorisée.
5.1
Un
problème de filiation
Les deux parties de la
première question portent sur le problème de la filiation
paternelle. Il faut, pour le résoudre, activer ses connaissances
juridiques, le vocabulaire spécifique de la discipline et le savoir
faire sur les étapes auxquelles il faut procéder :
Mme
Martin, une veuve de 72 ans, vient vous consulter. Elle vous expose
qu’elle a deux fils qui, pour des raisons différentes, lui causent
des soucis. Elle souhaiterait que vous l’éclairiez
sur diverses questions qu’elle se pose :
1
Dans le passé, à plusieurs reprises, l’aîné de ses fils,
Pierre, lui avait parlé de « relations difficiles » avec
sa femme Lucie. Récemment, Pierre a révélé à sa mère qu’il
trompait Lucie depuis plusieurs années et que sa maitresse avait
mis au monde un enfant il y a deux mois. Il refuse d’assumer une
quelconque responsabilité
à cet égard, mais sa maitresse ne l’entend pas ainsi et elle est
fermement résolue à l’y contraindre. Mme Martin se souvient que
Lucie lui avait avoué être très jalouse. Depuis un certain temps,
elle avait le sentiment que son mari était attaché à une autre
personne.
1.1 Il
paraît que la maitresse de Pierre a indiqué, lors de la
déclaration de naissance, qu’il était le père de l’enfant.
Si c’est exact, est-ce susceptible d’établir la paternité de
Pierre.
1.2 Si
la femme de Pierre vient à apprendre, comme c’est à craindre,
l’aventure extraconjugale de son mari, quel usage pourrait-elle
en faire ?
5.2
Réponses juridiques motivées
5.2.1
L’établissement
de la filiation paternelle
L’énoncé suggère la
volonté de la maitresse de Pierre d’établir la filiation
paternelle de l’enfant qu’elle a mis au monde il y a deux mois.
Dans cette hypothèse, l’acte de naissance dressé dans les trois
jours après la naissance contient la date, le lieu et le nom de la
mère et le nom du père. Ainsi la filiation maternelle est établie:
La
filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation
de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant. (article 311-25
Code civil).
S’il s’agissait d’un
couple marié, Pierre serait considéré comme le père de l’enfant
par la présomption de paternité.
Pourtant,
Pierre et sa maitresse ne sont pas mariés. Pour établir sa
paternité, le père doit faire une reconnaissance avant ou après la
naissance de l'enfant :
Lorsque
la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la
section I du présent chapitre, elle peut l'être par une
reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après
la naissance. (Art. 316, al. 1, Code civil)
Par conséquent, la seule
indication du nom de Pierre en tant que père de l'enfant n'a pas de
valeur autre que celle d'un simple renseignement et n'établit pas la
paternité. Mais, d'après l'exposé des faits, Pierre refuse de
reconnaître l'enfant. Dans cette hypothèse, la maitresse de Pierre
peut engager une action en recherche de paternité contre lui:
La
paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. (Art.
327)
La maitresse peut
l'exercer tant que l'enfant est mineur:
Le
parent, même mineur, à l'égard duquel la filiation est établie a,
pendant la minorité de l'enfant, seul qualité pour exercer l'action
en recherche de maternité ou de paternité. (Art. 328)
En même temps, la
maitresse peut demander une contribution alimentaire à verser à un
enfant sans filiation paternelle par l'homme qui a eu des relations
intimes avec la mère au moment de la conception de l'enfant selon
l'article 342.
5.2.2
Le
divorce pour faute
D’après Mme Martin,
Lucie et Pierre ont des « relations difficiles ». Lucie a
de forts soupçons sur le fait que Pierre la trompe avec une autre
femme. Si elle venait à apprendre l’aventure extraconjugale de son
mari, elle pourrait l’invoquer comme faute. Il s’agit d’une
violation de l’obligation de fidélité qui s’impose entre
époux :
Les
époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours,
assistance. (Art. 212)
Elle pourrait, à ce
titre, fonder une demande de divorce pour faute :
Le
divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits
constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et
obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent
intolérable le maintien de la vie commune. (Art.
242)
L’adultère n’étant
plus une cause inévitable de divorce, il appartient aux juges de
déterminer s’il justifierait, en l’espèce, le divorce demandé.
L’exposé des faits ne
nous apprend rien sur une attitude qui puisse expliquer ou excuser
l’adultère du mari. Donc on pourrait penser que le divorce serait
prononcé aux torts exclusifs de Pierre. Dans le cadre d’un tel
divorce, la femme de Pierre pourrait invoquer l’adultère de son
mari pour solliciter la condamnation de ce dernier au versement de
dommages-intérêts :
… des
dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en
réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il
subit du fait de la dissolution du mariage ... soit lorsque le
divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.
(Art. 266)
5.3
Capacités méthodologiques nécessaires
Pour répondre à la
première question du cas pratique, les savoir faire suivants sont
nécessaires:
5.3.1
Repérer
les questions de droit
La capacité de rappeler
les faits et de séparer les faits pertinents des éléments
anecdotiques. Il faut repérer les questions de droit soulevées par
l’espèce en posant la question : qui veut quoi de qui ?
- La maitresse de Pierre a mis au monde un bébé et veut établir la filiation paternelle de son enfant ;
- Pierre refuse de reconnaître la paternité de l’enfant.
5.3.2
Saisir
le fondement juridique de la demande
La capacité de saisir le
fondement juridique de la demande: quelle est la règle juridique qui
soutiendrait la demande ?
- La maitresse pense que l’indication du nom de Pierre suffirait à établir la filiation paternelle. Mais elle se trompe.
- Comme il s’agit d’un couple non marié, il faut repérer une autre norme juridique applicable. En vertu de l’article 316 du Code civil la filiation paternelle d’un enfant né d’un couple non marié s’établit par une reconnaissance du père.
5.3.3
Aller
plus loin
La
capacité d’imaginer une solution au cas où le père biologique
maintient son refus de prendre ses responsabilités vis-à-vis de
l’enfant : la maitresse pourrait engager une action en
recherche de paternité contre lui conformément à l'article 342 du
Code
civil.
5.4 Conséquences
Il
conviendrait de tirer quelques enseignements
de la nature de l'épreuve. Les points suivants devraient influer la
démarche pédagogique à mettre en oeuvre pour établir un programme
de formation intégré dans un cursus disciplinaire.
5.4.1 Le poids des
savoirs disciplinaires
En
premier lieu, dans le contexte
académique donné,
les étudiants doivent mettre en pratique leurs connaissances
juridiques pour accomplir les tâches. Les savoirs disciplinaires
sont prédominants (chap. 6.7). Ils constituent la base pour
identifier et énoncer les lois pertinentes pour la résolution du
cas pratique. Un savoir incomplet ne saurait être compensé par un
bon niveau linguistique. Les savoir faire spécifiques sont
indispensables pour établir les étapes de la résolution à partir
de la qualification juridique des faits et des lois identifiées. Ces
opérations mentales ne peuvent être dissociées de la compétence
linguistique. Toutes les composantes sont en interaction.
5.4.2. L'utilité
limitée de l'approche transversale
Le
rôle prédominant du savoir disciplinaire soulève la question de
l'utilité des résultats de l'approche transversale. Celle-ci a été
développée dans un cadre institutionnel différent et pour un
public hétérogène. Des catégories d‘écrits transversaux aux
disciplines universitaires ont été identifiées (Mangiante & Parpette 2011: 130). Parmi les transversalités,
on découvre un nombre important qui concernent
le cas pratique juridique: comme on a pu le constater, les étudiants
doivent être capables
d'analyser
une situation, de situer des faits et des connaissances dans le
temps, dans l'espace et dans le champ disciplinaire, [...]
d'argumenter, d'interpréter, de résumer en sélectionnant les
informations essentielles et en les reliant dans une progression
structurée. (Mangiante & Parpette 2011: 158s)
Mais
l'approche transversale ne paraît pas transposable à une formation
intégrée dans un cursus disciplinaire. Par conséquent, le
référentiel de compétences ne mentionne pas les transversalités.
Dans un programme d'enseignement de langue, les transversalités
n’ont un sens que si on les adapte à des besoins spécifiques. A
la fin de leur ouvrage, les auteurs plaident pour la
disciplinarisation
de l‘enseignement du français
sur objectif universitaire (Mangiante & Parpette 2011: 236). Elle est indispensable dans le contexte
institutionnel donné si le terme disciplinarisation
signifie
qu'il faut intégrer des savoirs disciplinaires.
5.4.3 L'utilité
limitée de l'entrée linguistique
La
portée de l’analyse linguistique et discursive des différents
discours oraux et écrits collectés dans les cours universitaires
est restreinte. Elle conduit à une description des phénomènes et
mécanismes langagiers observables dans des discours produits au sein
de situations spécifiques. Mais elle ne va pas assez loin pour
permettre d’établir un programme de formation en FOU car
n’accordant pas
assez d'importance aux contenus notionnels et à la dimension
cognitive des compétences à mobiliser.
5.4.4 Reconsidérer
le traitement didactique des cours magistraux
Nombre
d'étudiants paraissent trop fixés sur la prise de notes. Mais
prendre des notes est une capacité réceptive et ne veut pas dire
savoir les utiliser
et les appliquer dans la résolution d'un problème juridique. Des
recherches récentes mettent en évidence l'importance qu’il y a à
doter les étudiants de savoirs préalables sur le sujet traité en
cours magistral (Eggensperger 2014a) à l'aide de documents ou de
questionnaires (Eggensperger 2012: 12ss). Il faut également
investir davantage de temps dans le traitement des informations
présentées dans le cours magistral car dans ce type de discours
académique, le savoir disciplinaire est présenté systématiquement,
en fonction des nécessités et des structures internes de la
discipline. L'analyse de l'épreuve montre qu'il faut mobiliser des
connaissances dispersées
dans le cours magistral. Le cours de FOU devrait aider les étudiants
à trier les éléments du cours. Il faut les regrouper sous forme de
schémas (chap. 4) et, si besoin est, les compléter par d'autres
sources. Le cours magistral n'est pas la seule
source à prendre
en compte. Le traitement de l'information devrait aboutir à un
savoir bien structuré et applicable à des situations concrètes. Il
me
semble qu'il faudrait reconsidérer certains aspects du traitement
didactique du cours magistral (Mangiante & Parpette 2011: 79ss.).
6.
L’analyse de copies
rendues par les étudiants
Les
copies rendues par une douzaine d’étudiants
nous ont permis
de vérifier si, et dans quelle mesure, à la fin d’un cours de
langue, les étudiants ont acquis la compétence complexe requise
pour maîtriser un cas pratique. Pour des raisons d’espace, il a
fallu se limiter à reproduire les extraits de trois copies.
Les
extraits ont été sélectionnés pour en représenter et illustrer
trois types :
- La première copie a des faiblesses en contenu et en langue. On serait tenté de supposer que la capacité de lecture en langue étrangère ne permet pas de repérer les dispositions adéquates du Code civil et d’en extraire l'information utile ce qui empêche l'étudiante de mener un raisonnement juridique compréhensible. Ce type de copie pourrait attirer notre attention sur l'importance de la capacité de compréhension des textes juridiques.
- La deuxième copie, par contre, relève d'un bon niveau de langue, mais le contenu est faible, ce qui montre que la seule compétence linguistique ne suffit pas dans le contexte académique donné pour résoudre un cas pratique.
- La langue de la troisième copie est moyenne. Toutefois, le contenu correspond parfaitement aux attentes. Globalement, c'est le type de copies le mieux noté, ce qui souligne l'importance du savoir disciplinaire.
Chaque
copie est annotée
à
la
marge. Ces notes constituent des corrections ponctuelles. Les
observations placées en dessous des copies les situent dans un
contexte plus large. Elles établissent le lien entre les
connaissances juridiques et les contenus linguistiques du référentiel
de compétences au 4e chapitre.
6.1
Extrait de la 1ère
copie
6.2
Observations sur la 1ère
copie
Dès le début de son
raisonnement, l'étudiante se trompe sur la règle juridique à
appliquer: L'article 310 consacre l'égalité des filiations. En
2005, la distinction entre les filiations légitime et naturelle a
été abandonnée. Puis, l'étudiante a reconnu un fait pertinent: il
s’agit d’un couple non-marié. Elle cite l'article 316, mais elle
n'établit pas le lien avec l'exposé des faits: s'il faut une
reconnaissance du père pour établir la filiation paternelle dans un
couple non-marié, la seule indication du nom du père par la mère
ne suffit pas. Bien qu'elle ait identifié un paramètre important de
l'exposé, elle n'est pas arrivée à exploiter ses connaissances
représentées par la carte heuristique no. 2. Quant à la méthode
appliquée, après avoir bien formulé la demande de la maitresse, on
ne la voit pas construire les étapes d'une résolution de problème, mais elle semble plutôt tourner en rond, ce qui explique la répétition
d'une phrase à deux endroits: «En l'espèce, la femme...». En
somme, sa conclusion ne répond pas à la question posée.
Quant à la langue, la
copie fait usage d'un vocabulaire limité. Certaines formulations
sont lacunaires ou insuffisamment explicites. Les connecteurs
spatio-temporels et logiques ne sont presque pas attestés, les
accords en genre et en nombre ainsi que les modes et temps verbaux
sont quasi systématiquement faux. Dans l'ensemble, le contenu et la
langue sont d’un niveau très faible.
6.3
Extrait de la 2e
copie
6.4
Observations sur la 2e
copie
Dans
la deuxième copie, les points faibles du raisonnement juridique sont
évidents. Dès le début, l'étudiante se trompe sur les modalités
d'établissement de la filiation paternelle (cf. carte heuristique
no. 2). Malheureusement, elle n'identifie pas les idées essentielles
et leurs articulations. On ne peut pas déduire du texte les raisons
exactes de son erreur par manque de fondement juridique explicite: ou
bien, elle ne fait pas de différence entre l'établissement de la
filiation maternelle et paternelle d'un couple marié ou hors
mariage, ou bien elle interprète mal l'article 311-25. Elle semble
supposer que la maîtresse avait établi la filiation paternelle par
son acte sans apporter de fondement juridique. La suite de son
argumentation est construite sur cette erreur. Elle invoque ce
qu'elle appelle reconnaissance
indirecte.
Sans examiner la validité de ce terme imprécis, elle cherche à
nous expliquer par quelle procédure Pierre pourrait contester la
filiation (cf. cartes heuristiques no. 3 et 4). Mais à la fin, elle
juge elle-même qu'une contestation n'aurait pas de sens. Pierre ne
contesterait pas la paternité parce qu'elle serait prouvée en cas
de test génétique. Donc, sa réponse n'est ni adéquate ni
juridiquement motivée.
Par
contre, le niveau de langue est bien meilleur que celui de la
première copie. Le texte est rédigé dans un style approprié avec
une structure logique qui aide le lecteur à noter les points
importants. L'étudiante maîtrise le vocabulaire spécifique
adéquat. Seul le mot constater
- il faudrait lire contester
- pourrait susciter une certaine confusion.
6.5
Extrait de la 3e
copie
Réponse
à la question 1.2:
6.6
Observations sur la 3e
copie
L'étudiant
fait preuve d'un raisonnement juridique à la hauteur de la tâche.
Il dégage la problématique principale et énonce les dispositions
du Code
civil
qui sont pertinentes pour la résolution. Cela veut dire qu'il a
réussi à choisir, parmi les nombreux articles qui concernent la
filiation, les dispositions appropriées aux questions soulevées. A
partir de l'interprétation des lois identifiées, il établit les
étapes de la résolution. Il arrive également à établir les
relations entre les faits juridiques intervenant dans le problème.
Les réponses aux questions soulevées par le cas pratique sont
correctes.
Mais le niveau de langue
n'est pas égal à la qualité du contenu. A certains endroits, la
syntaxe semble bien compliquée, et les fautes élémentaires de
morphologie et de morphosyntaxe sont manifestes. Il se peut que la charge
cognitive notionnelle ait été trop élevée pour les éviter.
6.7 Résumé
En résumé, l'analyse
des copies permet de relever, en gros, cinq grandes catégories de
difficultés:
- méconnaissance des règles juridiques applicables,
- erreur dans le choix de la règle,
- erreur d'interprétation de la règle,
- erreur du raisonnement ou raisonnement partiel,
- problèmes de langue individuels: vocabulaire spécifique insuffisant, fautes de morphologie et de morphosyntaxe, problèmes de construction verbale.
L'exploitation
didactique des données relevées sera réservée à une contribution
ultérieure. Elle
devrait entamer la didactisation des résultats et proposer des
activités langagières qui puissent contribuer à éviter les
principales erreurs.
7 Conclusion: un
type nouveau de cours en FOU
À la
fin de
cet article, il
me paraît raisonnable de présupposer plusieurs types de cours en
FOU qui n'ont pas encore été tous conceptualisés. Il va de soi que
les formations s’attachant aux savoirs, savoir faire et savoir être
langagiers et culturels, nécessaires à l’insertion universitaire
dans un contexte francophone,
font partie
intégrante de ce domaine.
Cet
article fait
émerger un autre type. Il ne faut pas seulement viser l'intégration,
mais aussi la réussite des étudiants inscrits dans les doubles
cursus
discipline-langue
ou des cursus
intégrés.
Réussir veut dire être capable de produire
les écrits exigés par les examens disciplinaires dans
l'enseignement supérieur français. Cela ne signifie pas qu'il
faille organiser un cours spécifique pour chaque matière, mais
je
propose de regrouper la multitude des cursus universitaires en nombre
réduit de domaines:
- commerce-gestion-économie,
- droit-administration-sciences politiques,
- lettres-langues-sciences humaines et sociales ainsi que
- sciences-mathématiques-informatique-architecture.
La spécificité de ce
type nouveau ne concerne pas seulement les contenus linguistiques et
en particulier le lexique spécialisé d'un domaine à enseigner,
mais une compétence beaucoup plus complexe dont les composantes
devraient être définies en fonction du domaine en question.
Cependant, si l'on pousse ce raisonnement plus loin, la frontière
entre l'enseignement disciplinaire en langue étrangère et les cours
de langue risque de s'estomper. Pour réduire ce risque, on pourrait
rappeler quelques apports spécifiques d'un cours de FOU du deuxième
type:
- des contenus disciplinaires explicitement réduits, les savoirs de base,
- un savoir structuré et visualisé, cf. les schémas,
- le vocabulaire spécifique correspondant limité et structuré,
- des exercices thématiques soit pour consolider des structures grammaticales soit pour appliquer des consignes méthodologiques disciplinaires, en bref des types d’exercices que l’enseignement disciplinaire ne prévoit pas.
Ces caractéristiques
pourraient guider l'élaboration de dispositifs de formation dans
l'avenir. Ils contribueraient à impliquer les enseignants de
disciplines d'une manière plus ciblée dans les réflexions sur une
formation efficace des étudiants allophones inscrits dans leurs
cours.
Références
bibliographiques
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enseigner,
évaluer, 2000, Conseil de la Coopération culturelle, Comité de l’éducation,
Division des langues vivantes Strasbourg.
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in Voss, B. (éd), UNIcert®
Handbuch 2.
Bochum, AKS-Verlag, 217-222.
Auteur :
Dr.
Karl-Heinz Eggensperger
Chargé
de cours à la faculté de droit
Université
de Potsdam
August-Bebel-Straße
89
14482
Potsdam
R.F.A.
1
Mmes Souad Bensalah-Mekkes, Université de Potsdam, Catherine
Jaeger, Université Humboldt de Berlin, et M. Gonzague de
Prod'homme, Université de Passau, ont eu l'amabilité de lire une
version antérieure de cette contribution. Je tiens à les remercier
vivement de leurs observations.
2
L'auteur se réfère au modèle du Cadre
européen commun de référence pour les langues
dont les auteurs considèrent que la compétence à communiquer
langagièrement peut être considérée comme présentant plusieurs
composantes (Eggensperger, 2010/2011).
4
En 1993, le centre de ressources langue de l'université de Potsdam
a adhéré à UNIcert® qui compte actuellement plus de 50
institutions membres
(http://www.unicert-online.org/de/akkreditierte; 20/11/2015).