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JLLT edited by Thomas Tinnefeld
Journal of Linguistics and Language Teaching
Volume 7 (2016) Issue 1


Analyse d'une épreuve de droit civil
proposée aux étudiants d'un cours de français sur objectif universitaire (FOU)1

Karl-Heinz Eggensperger (Potsdam, Allemagne)

Abstract (anglais)
In the present paper, the study skills that are required for succeeding at French language courses for specific purposes at UNIcert® III level are discussed. The aim is to equip students with the linguistic tools they need so as to deal with typical academic situations as encountered in higher education courses for law students in France, the so-called travaux dirigés. In order to be qualified to work as lawyers in the future, students have to be able to solve legal problems. A selected family law case illustrates the necessary foreign language and professional requirements; annotated excerpts from students' examinations demonstrate the need for teaching foreign languages for specific purposes.
Key words: French for specific purposes, legal French, family law, language requirement, professional requirements, UNIcert®

Abstract (allemand)
Im Mittelpunkt des vorliegenden Beitrags stehen die Anforderungen im fachbezogenen Französischunterricht auf der Niveaustufe UNIcert® III. Studierende sollen befähigt werden, hochschulbezogene Situationen während ihres rechtswissenschaftlichen Studiums in Frankreich in den sogenannten travaux dirigés zu bewältigen. Als künftige Rechtsanwälte müssen sie imstande sein, Rechtsprobleme zu lösen. Ein Fall aus dem französischen Familienrecht illustriert die fremdsprachlichen und fachlichen Anforderungen; Auszüge aus korrigierten Klausuren belegen die Notwendigkeit fachbezogenen Fremdsprachenunterrichts.
Stichwörter: Fachsprache Französisch, Rechtsfranzösisch, Familienrecht, fremdsprachliche Anforderungen, fachliche Anforderungen, UNIcert® 

1    Introduction
La présente contribution reprend et développe les réflexions sur la démarche didactique du français sur objectif spécifique (FOS) dénommé en milieu universitaire français sur objectif universitaire ou FOU. Il s'agit d’appliquer la méthodologie de traitement d'un discours universitaire spécifique à une formation en langue française intégrée dans un bi-cursus universitaire droit français et droit allemand (cf. 2e chap). Les étudiants de langue maternelle allemande suivent en parallèle des enseignements dans les deux systèmes de droit et un cours de langue. Ils aspirent à une formation linguistique efficace qui les prépare aux partiels de leurs cours disciplinaires. Pour répondre à leurs attentes, une épreuve qui se rapproche de très près des examens dans leur formation disciplinaire leur est proposée à la fin du cours de langue. En droit, il s’agit de réussir à plusieurs épreuves de productions écrites dont les plus importantes sont le cas pratique, la dissertation juridique et le commentaire d’arrêt. En droit civil, c’est souvent un cas pratique qui est à résoudre.
L'analyse a posteriori d'une épreuve prend en considération le fait que le travail de l’étudiant ne se résume pas à la restitution d’un cours magistral. La réussite dépend dans une large mesure des résultats obtenus aux examens écrits dans la discipline et aussi d’autres notes. La présente contribution se penche sur la question suivante : Quelles sont les composantes les plus importantes d'une compétence complexe2 nécessaire à la réussite d’un examen disciplinaire en droit de la famille?
Afin de répondre à la problématique posée, nous mènerons une démarche en trois temps. Le 4e chapitre sera consacré au référentiel de compétences qui détaille les connaissances juridiques préalables pour pouvoir résoudre un problème de filiation ainsi que les savoirs linguistiques nécessaires à la rédaction de la solution. On peut en déduire dans quelle mesure il faut passer d’un concept de formation linguistique à celui de formation aux compétences universitaires. Ces derniers étant indispensables à l’accomplissement de tâches complexes qui amènent les étudiants à utiliser des ressources cognitives et des ressources matérielles.
Le chapitre suivant précise les préalables cognitive et linguistique pour résoudre un cas pratique. Ce type d'épreuve est destiné à vérifier la capacité de l'étudiant à appliquer ses connaissances à une situation concrète dont les données de fait sont fournies. Il s’agit en l'occurrence, de s’appuyer sur ses connaissances et savoir faire disciplinaires pour conseiller une mère de 72 ans sur différents problèmes posés par les relations de ses fils. Il sera également question de l'utilité de l'approche transversale ainsi que de l'entrée linguistique et discursive pour élaborer un programme de formation efficace pour le contexte donné.
Le 6e chapitre sera consacré aux résultats de l'épreuve. L'analyse de quelques copies permettra de mieux cerner les difficultés des étudiants allophones dans la résolution d'un type d’épreuve qui compte parmi les tâches principales des étudiants en droit. En conclusion, un type nouveau de cours en FOU sera conceptualisé.

2  Une formation en langue française intégrée dans un cursus disciplinaire3
Le plus grand nombre des cours de français langue étrangère proposés par les centres de ressources langue dans les établissements d’enseignement supérieur en Allemagne regroupent des étudiants de disciplines différentes. Pour cette raison, ils procèdent d’une démarche qui rappelle l’approche transversale (Eggensperger 2014b). Conformément aux descriptifs, les cours doivent conduire à la maîtrise de situations linguistiques en rapport avec les études universitaires et les professions académiques. Quelques enseignants optent plutôt pour une approche disciplinaire centrée sur les sciences économiques (Dresemann 2010) et la médecine (Mügge 2010).
La formation linguistique, dont il est question dans cet article, fait partie intégrante d'un double cursus droit français – droit allemand proposé conjointement par plusieurs établissements d'enseignement supérieur en France et en Allemagne sous l'égide de l'Université franco-allemande (UFA) à Sarrebruck qui le dénomme cursus intégré. En 2015, l’UFA propose plus de 170 cursus intégrés binationaux. Les étudiants de ces cursus bénéficient non seulement d’une formation dans leur discipline, mais acquièrent également des compétences linguistiques et interculturelles. Ils effectuent un séjour d’études à l’étranger et accomplissent la moitié de leur parcours au sein d’un groupe mixte dans le pays partenaire. Il est évident qu’on ne peut pas étudier un système de droit étranger sans maîtriser la langue correspondante. Cette nécessité conduit à associer l’étude d’un système de droit étranger à l’apprentissage de la langue.

3    Le contexte de la formation à l’université de Potsdam
Depuis 1994, l’UFR de Droit et Science Politique (DSP) et la Faculté de droit de l'université de Potsdam proposent un cursus intégré droit français et droit allemand. Sur demande des deux directeurs du programme du cursus intégré, le centre de ressources langue a commencé à proposer un cours de langue spécifique peu de temps après la signature de la convention entre l’UFR de Droit et Science Politique et la Faculté de droit de l'université de Potsdam (Allemagne).

3.1 Les enseignements en droit
Les étudiants inscrits au cursus intégré ont, pendant certaines périodes du semestre, une double charge de cours. En droit allemand, les cours magistraux et les travaux dirigés se déroulent conformément au rythme prévu. S'y ajoutent, en 1ère et 2e année du cursus intégré, trois cours magistraux de 30 unités à 45 minutes chacune. Ils sont dispensés à Potsdam, chaque semestre, par des enseignants de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense. Au cours du semestre d'été 2015, le programme du cursus intégré prévoyait deux cours magistraux, l’un sur le droit administratif et l’autre sur le droit de la famille. À l’issue de chaque cours magistral, les étudiants doivent passer un partiel sur la branche de droit correspondante.

3.2 L'enseignement en langue française
Il résulte du cadre institutionnel des groupes d'étudiants assez homogènes dans les cours de langue française intégrés au double cursus. De temps en temps, il y a quelques étudiants inscrits en sciences politiques ou d'administration, mais la grande majorité fait des études de droit.
En principe, la participation aux cours est libre. Mais la formation, centrée sur des tâches qui soient au plus près des exigences disciplinaires, est un des facteurs de motivation les plus importants pour garantir l’assiduité aux séances. En plus, la note du certificat UNIcert® III peut, sur demande de l'étudiant, se substituer à une autre obtenue dans un partiel disciplinaire. Cependant, pour profiter de cette option, il faut passer l'épreuve complète pour obtenir le certificat UNIcert® III qui comprend quatre parties: production écrite et production orale ainsi que compréhension écrite et compréhension orale (Eggensperger 2014b: 83s.).
Les cours UNIcert® préparent à la maîtrise de situations linguistiques en rapport avec les études universitaires et les professions académiques4. Ils permettent de se familiariser avec les problèmes posés par les échanges interculturels et aident les étudiants à développer une certaine autonomie dans l’apprentissage des langues.
Ce cadre référentiel de compétences se décline ensuite en contenus de formation adaptés aux besoins identifiés. Le programme du cours de langue, pour être motivant et efficace, doit s'aligner sur les domaines de droit présentés lors des cours magistraux. Au semestre d'été 2015, les deux premiers tiers de l'enseignement avec environ 40 heures étaient consacrés au droit administratif, le dernier d'une quinzaine d'heures au droit de la famille.


4  Un référentiel de compétences spécifique
Un référentiel de compétences d'un cours de langue intégré à un cursus disciplinaire présente certaines particularités par rapport à une formation en français «général». En fonction des objectifs, il comporte une sélection des savoirs disciplinaires à enseigner. Les savoirs linguistiques spécifiques à un domaine spécialisé donné sont identifiés à partir des contenus notionnels.
C’est dans ce contexte que sont répertoriés les savoirs juridiques indispensables à la résolution d’un cas pratique portant sur la filiation. Ils sont visualisés par des cartes heuristiques ou schémas. Le lexique spécialisé que les apprenants doivent assimiler et savoir utiliser est intégré dans de petits textes en dessous de chaque carte heuristique. Ces énoncés constituent une définition ou une explication des concepts de la carte heuristique :
Schéma 1: La filiation et les modes d'établissement du lien de filiation maternelle et paternelle

Le terme de filiation désigne le lien qui relie un enfant à ses parents ou à l'un d'eux. Elle peut s'établir par procréation charnelle, par adoption ou par procréation médicalement assistée. Dans la procréation médicalement assistée (PMA), le couple recourt à l’aide de l’assistance médicale, mais en utilisant ses propres gamètes. L’engendrement repose sur une procréation impliquant les deux partenaires. La distinction des filiations légitime et naturelle a été abandonnée en 2005 :
Schéma 2: Les normes juridiques régissant l'établissement non contentieux de la filiation par procréation charnelle
En principe, la filiation s'établit naturellement par la voie extrajudiciaire selon les modes de preuves prévues par la loi: les présomptions légales, la reconnaissance volontaire et la possession d'état constatée par un acte de notoriété. Dans un couple marié, la filiation paternelle s'établit automatiquement : le mari est présumé être le père de l'enfant. Son nom est indiqué dans l'acte de naissance. Il n'a pas besoin de procéder à une reconnaissance et n'a aucune démarche à effectuer pour établir la filiation de son enfant. Lorsque les parents ne sont pas mariés, la filiation s'établit différemment à l'égard du père et de la mère. Pour la mère, il suffit que son nom apparaisse dans l'acte de naissance pour que la maternité soit établie. En revanche, pour établir sa paternité, le père doit faire une reconnaissance (avant ou après la naissance de l'enfant) (cf. art. 316, al. 1 du Code civil).
Schéma 3: Le régime des actions judiciaires relatives à la filiation

En cas d'établissement contentieux, il faut distinguer deux actions judiciaires relatives à la filiation: les unes tendent à faire déclarer en justice l'établissement d'un lien de filiation; les autres ont pour objet de contester le lien de filiation aux fins d'en obtenir l'annulation. L'enfant, ou sa mère s'il est mineur, peut engager l'action en recherche de paternité pour établir un lien de filiation avec celui qu'il pense être son père. La procédure s'effectue devant le tribunal de grande instance.

Schéma 4: L'établissement de la filiation par jugement
Dans l'hypothèse où la filiation est établie par jugement, on distingue quatre actions:
  • L'action en recherche de maternité est très rare. Elle ne peut être engagée que si la filiation n'est pas volontairement établie par la mère.
  • L'action en recherche de paternité hors mariage est la procédure judiciaire engagée pour contraindre un père à reconnaître un enfant.
  • La présomption de paternité est écartée lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas le mari en qualité de père. C'est le cas, par exemple, lorsqu'un autre homme a reconnu l'enfant avant sa naissance et dans d'autres hypothèses. Ses effets peuvent être rétablis par jugement.
  • La possession d'état est la prise en compte de la réalité vécue du lien de filiation. Elle s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre un enfant et la famille à laquelle il est dit appartenir. Un acte de notoriété peut être demandé pour prouver la possession d'état. Il est délivré par le juge.

5 Une épreuve proche des examens dans la formation disciplinaire
La version originale du cas pratique soumis a été publiée il y a dix ans (Fournier 2005). Vu l’évolution des règles juridiques en droit de la famille, les questions soumises aux étudiants ont été actualisées. On a également réduit leur nombre et leur complexité par rapport à la version originale. Une spécialiste en droit de la famille de l'université Paris Ouest Nanterre la Défense a vérifié les consignes avant qu'elles n'aient été données à des étudiants en fin de 1ère année de droit5. Conformément aux dispositions du cursus-cadre UNIcert®, les étudiants avaient 180 minutes pour répondre aux questions. L’utilisation des dictionnaires unilingue et bilingue ainsi que du Code civil en version électronique était autorisée.

5.1 Un problème de filiation
Les deux parties de la première question portent sur le problème de la filiation paternelle. Il faut, pour le résoudre, activer ses connaissances juridiques, le vocabulaire spécifique de la discipline et le savoir faire sur les étapes auxquelles il faut procéder :
Mme Martin, une veuve de 72 ans, vient vous consulter. Elle vous expose qu’elle a deux fils qui, pour des raisons différentes, lui causent des soucis. Elle souhaiterait que vous l’éclairiez sur diverses questions qu’elle se pose :
1 Dans le passé, à plusieurs reprises, l’aîné de ses fils, Pierre, lui avait parlé de « relations difficiles » avec sa femme Lucie. Récemment, Pierre a révélé à sa mère qu’il trompait Lucie depuis plusieurs années et que sa maitresse avait mis au monde un enfant il y a deux mois. Il refuse d’assumer une quelconque responsabilité à cet égard, mais sa maitresse ne l’entend pas ainsi et elle est fermement résolue à l’y contraindre. Mme Martin se souvient que Lucie lui avait avoué être très jalouse. Depuis un certain temps, elle avait le sentiment que son mari était attaché à une autre personne.
1.1 Il paraît que la maitresse de Pierre a indiqué, lors de la déclaration de naissance, qu’il était le père de l’enfant. Si c’est exact, est-ce susceptible d’établir la paternité de Pierre.
1.2 Si la femme de Pierre vient à apprendre, comme c’est à craindre, l’aventure extraconjugale de son mari, quel usage pourrait-elle en faire ?

5.2 Réponses juridiques motivées
5.2.1 L’établissement de la filiation paternelle
L’énoncé suggère la volonté de la maitresse de Pierre d’établir la filiation paternelle de l’enfant qu’elle a mis au monde il y a deux mois. Dans cette hypothèse, l’acte de naissance dressé dans les trois jours après la naissance contient la date, le lieu et le nom de la mère et le nom du père. Ainsi la filiation maternelle est établie:
La filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant. (article 311-25 Code civil).
S’il s’agissait d’un couple marié, Pierre serait considéré comme le père de l’enfant par la présomption de paternité.
Pourtant, Pierre et sa maitresse ne sont pas mariés. Pour établir sa paternité, le père doit faire une reconnaissance avant ou après la naissance de l'enfant :
Lorsque la filiation n'est pas établie dans les conditions prévues à la section I du présent chapitre, elle peut l'être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance. (Art. 316, al. 1, Code civil)
Par conséquent, la seule indication du nom de Pierre en tant que père de l'enfant n'a pas de valeur autre que celle d'un simple renseignement et n'établit pas la paternité. Mais, d'après l'exposé des faits, Pierre refuse de reconnaître l'enfant. Dans cette hypothèse, la maitresse de Pierre peut engager une action en recherche de paternité contre lui:
La paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. (Art. 327)
La maitresse peut l'exercer tant que l'enfant est mineur:
Le parent, même mineur, à l'égard duquel la filiation est établie a, pendant la minorité de l'enfant, seul qualité pour exercer l'action en recherche de maternité ou de paternité. (Art. 328)
En même temps, la maitresse peut demander une contribution alimentaire à verser à un enfant sans filiation paternelle par l'homme qui a eu des relations intimes avec la mère au moment de la conception de l'enfant selon l'article 342.

5.2.2 Le divorce pour faute
D’après Mme Martin, Lucie et Pierre ont des « relations difficiles ». Lucie a de forts soupçons sur le fait que Pierre la trompe avec une autre femme. Si elle venait à apprendre l’aventure extraconjugale de son mari, elle pourrait l’invoquer comme faute. Il s’agit d’une violation de l’obligation de fidélité qui s’impose entre époux :
Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. (Art. 212)
Elle pourrait, à ce titre, fonder une demande de divorce pour faute :
Le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. (Art. 242)
L’adultère n’étant plus une cause inévitable de divorce, il appartient aux juges de déterminer s’il justifierait, en l’espèce, le divorce demandé.
L’exposé des faits ne nous apprend rien sur une attitude qui puisse expliquer ou excuser l’adultère du mari. Donc on pourrait penser que le divorce serait prononcé aux torts exclusifs de Pierre. Dans le cadre d’un tel divorce, la femme de Pierre pourrait invoquer l’adultère de son mari pour solliciter la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts :
des dommages et intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d'une particulière gravité qu'il subit du fait de la dissolution du mariage ... soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.  (Art. 266)

5.3 Capacités méthodologiques nécessaires
Pour répondre à la première question du cas pratique, les savoir faire suivants sont nécessaires:

5.3.1 Repérer les questions de droit
La capacité de rappeler les faits et de séparer les faits pertinents des éléments anecdotiques. Il faut repérer les questions de droit soulevées par l’espèce en posant la question : qui veut quoi de qui ?
  • La maitresse de Pierre a mis au monde un bébé et veut établir la filiation paternelle de son enfant ;
  • Pierre refuse de reconnaître la paternité de l’enfant.

5.3.2 Saisir le fondement juridique de la demande
La capacité de saisir le fondement juridique de la demande: quelle est la règle juridique qui soutiendrait la demande ?
  • La maitresse pense que l’indication du nom de Pierre suffirait à établir la filiation paternelle. Mais elle se trompe.
  • Comme il s’agit d’un couple non marié, il faut repérer une autre norme juridique applicable. En vertu de l’article 316 du Code civil la filiation paternelle d’un enfant né d’un couple non marié s’établit par une reconnaissance du père. 

5.3.3 Aller plus loin
La capacité d’imaginer une solution au cas où le père biologique maintient son refus de prendre ses responsabilités vis-à-vis de l’enfant : la maitresse pourrait engager une action en recherche de paternité contre lui conformément à l'article 342 du Code civil.

5.4 Conséquences
Il conviendrait de tirer quelques enseignements de la nature de l'épreuve. Les points suivants devraient influer la démarche pédagogique à mettre en oeuvre pour établir un programme de formation intégré dans un cursus disciplinaire.

5.4.1 Le poids des savoirs disciplinaires
En premier lieu, dans le contexte académique donné, les étudiants doivent mettre en pratique leurs connaissances juridiques pour accomplir les tâches. Les savoirs disciplinaires sont prédominants (chap. 6.7). Ils constituent la base pour identifier et énoncer les lois pertinentes pour la résolution du cas pratique. Un savoir incomplet ne saurait être compensé par un bon niveau linguistique. Les savoir faire spécifiques sont indispensables pour établir les étapes de la résolution à partir de la qualification juridique des faits et des lois identifiées. Ces opérations mentales ne peuvent être dissociées de la compétence linguistique. Toutes les composantes sont en interaction.

5.4.2. L'utilité limitée de l'approche transversale
Le rôle prédominant du savoir disciplinaire soulève la question de l'utilité des résultats de l'approche transversale. Celle-ci a été développée dans un cadre institutionnel différent et pour un public hétérogène. Des catégories d‘écrits transversaux aux disciplines universitaires ont été identifiées (Mangiante & Parpette 2011: 130). Parmi les transversalités, on découvre un nombre important qui concernent le cas pratique juridique: comme on a pu le constater, les étudiants doivent être capables
d'analyser une situation, de situer des faits et des connaissances dans le temps, dans l'espace et dans le champ disciplinaire, [...] d'argumenter, d'interpréter, de résumer en sélectionnant les informations essentielles et en les reliant dans une progression structurée. (Mangiante & Parpette 2011: 158s)
Mais l'approche transversale ne paraît pas transposable à une formation intégrée dans un cursus disciplinaire. Par conséquent, le référentiel de compétences ne mentionne pas les transversalités. Dans un programme d'enseignement de langue, les transversalités n’ont un sens que si on les adapte à des besoins spécifiques. A la fin de leur ouvrage, les auteurs plaident pour la disciplinarisation de l‘enseignement du français sur objectif universitaire (Mangiante & Parpette 2011: 236). Elle est indispensable dans le contexte institutionnel donné si le terme disciplinarisation signifie qu'il faut intégrer des savoirs disciplinaires.

5.4.3 L'utilité limitée de l'entrée linguistique
La portée de l’analyse linguistique et discursive des différents discours oraux et écrits collectés dans les cours universitaires est restreinte. Elle conduit à une description des phénomènes et mécanismes langagiers observables dans des discours produits au sein de situations spécifiques. Mais elle ne va pas assez loin pour permettre d’établir un programme de formation en FOU car n’accordant pas assez d'importance aux contenus notionnels et à la dimension cognitive des compétences à mobiliser.

5.4.4 Reconsidérer le traitement didactique des cours magistraux
Nombre d'étudiants paraissent trop fixés sur la prise de notes. Mais prendre des notes est une capacité réceptive et ne veut pas dire savoir les utiliser et les appliquer dans la résolution d'un problème juridique. Des recherches récentes mettent en évidence l'importance qu’il y a à doter les étudiants de savoirs préalables sur le sujet traité en cours magistral (Eggensperger 2014a) à l'aide de documents ou de questionnaires (Eggensperger 2012: 12ss). Il faut également investir davantage de temps dans le traitement des informations présentées dans le cours magistral car dans ce type de discours académique, le savoir disciplinaire est présenté systématiquement, en fonction des nécessités et des structures internes de la discipline. L'analyse de l'épreuve montre qu'il faut mobiliser des connaissances dispersées dans le cours magistral. Le cours de FOU devrait aider les étudiants à trier les éléments du cours. Il faut les regrouper sous forme de schémas (chap. 4) et, si besoin est, les compléter par d'autres sources. Le cours magistral n'est pas la seule source à prendre en compte. Le traitement de l'information devrait aboutir à un savoir bien structuré et applicable à des situations concrètes. Il me semble qu'il faudrait reconsidérer certains aspects du traitement didactique du cours magistral (Mangiante & Parpette 2011: 79ss.).

6. L’analyse de copies rendues par les étudiants
Les copies rendues par une douzaine d’étudiants nous ont permis de vérifier si, et dans quelle mesure, à la fin d’un cours de langue, les étudiants ont acquis la compétence complexe requise pour maîtriser un cas pratique. Pour des raisons d’espace, il a fallu se limiter à reproduire les extraits de trois copies. Les extraits ont été sélectionnés pour en représenter et illustrer trois types :
  • La première copie a des faiblesses en contenu et en langue. On serait tenté de supposer que la capacité de lecture en langue étrangère ne permet pas de repérer les dispositions adéquates du Code civil et d’en extraire l'information utile ce qui empêche l'étudiante de mener un raisonnement juridique compréhensible. Ce type de copie pourrait attirer notre attention sur l'importance de la capacité de compréhension des textes juridiques.
  • La deuxième copie, par contre, relève d'un bon niveau de langue, mais le contenu est faible, ce qui montre que la seule compétence linguistique ne suffit pas dans le contexte académique donné pour résoudre un cas pratique.
  • La langue de la troisième copie est moyenne. Toutefois, le contenu correspond parfaitement aux attentes. Globalement, c'est le type de copies le mieux noté, ce qui souligne l'importance du savoir disciplinaire.
Chaque copie est annotée à la marge. Ces notes constituent des corrections ponctuelles. Les observations placées en dessous des copies les situent dans un contexte plus large. Elles établissent le lien entre les connaissances juridiques et les contenus linguistiques du référentiel de compétences au 4e chapitre.

6.1 Extrait de la 1ère copie
6.2 Observations sur la 1ère copie
Dès le début de son raisonnement, l'étudiante se trompe sur la règle juridique à appliquer: L'article 310 consacre l'égalité des filiations. En 2005, la distinction entre les filiations légitime et naturelle a été abandonnée. Puis, l'étudiante a reconnu un fait pertinent: il s’agit d’un couple non-marié. Elle cite l'article 316, mais elle n'établit pas le lien avec l'exposé des faits: s'il faut une reconnaissance du père pour établir la filiation paternelle dans un couple non-marié, la seule indication du nom du père par la mère ne suffit pas. Bien qu'elle ait identifié un paramètre important de l'exposé, elle n'est pas arrivée à exploiter ses connaissances représentées par la carte heuristique no. 2. Quant à la méthode appliquée, après avoir bien formulé la demande de la maitresse, on ne la voit pas construire les étapes d'une résolution de problème, mais elle semble plutôt tourner en rond, ce qui explique la répétition d'une phrase à deux endroits: «En l'espèce, la femme...». En somme, sa conclusion ne répond pas à la question posée.
Quant à la langue, la copie fait usage d'un vocabulaire limité. Certaines formulations sont lacunaires ou insuffisamment explicites. Les connecteurs spatio-temporels et logiques ne sont presque pas attestés, les accords en genre et en nombre ainsi que les modes et temps verbaux sont quasi systématiquement faux. Dans l'ensemble, le contenu et la langue sont d’un niveau très faible.

6.3 Extrait de la 2e copie
6.4 Observations sur la 2e copie
Dans la deuxième copie, les points faibles du raisonnement juridique sont évidents. Dès le début, l'étudiante se trompe sur les modalités d'établissement de la filiation paternelle (cf. carte heuristique no. 2). Malheureusement, elle n'identifie pas les idées essentielles et leurs articulations. On ne peut pas déduire du texte les raisons exactes de son erreur par manque de fondement juridique explicite: ou bien, elle ne fait pas de différence entre l'établissement de la filiation maternelle et paternelle d'un couple marié ou hors mariage, ou bien elle interprète mal l'article 311-25. Elle semble supposer que la maîtresse avait établi la filiation paternelle par son acte sans apporter de fondement juridique. La suite de son argumentation est construite sur cette erreur. Elle invoque ce qu'elle appelle reconnaissance indirecte. Sans examiner la validité de ce terme imprécis, elle cherche à nous expliquer par quelle procédure Pierre pourrait contester la filiation (cf. cartes heuristiques no. 3 et 4). Mais à la fin, elle juge elle-même qu'une contestation n'aurait pas de sens. Pierre ne contesterait pas la paternité parce qu'elle serait prouvée en cas de test génétique. Donc, sa réponse n'est ni adéquate ni juridiquement motivée.
Par contre, le niveau de langue est bien meilleur que celui de la première copie. Le texte est rédigé dans un style approprié avec une structure logique qui aide le lecteur à noter les points importants. L'étudiante maîtrise le vocabulaire spécifique adéquat. Seul le mot constater - il faudrait lire contester - pourrait susciter une certaine confusion.

6.5 Extrait de la 3e copie

Réponse à la question 1.2:


6.6 Observations sur la 3e copie
L'étudiant fait preuve d'un raisonnement juridique à la hauteur de la tâche. Il dégage la problématique principale et énonce les dispositions du Code civil qui sont pertinentes pour la résolution. Cela veut dire qu'il a réussi à choisir, parmi les nombreux articles qui concernent la filiation, les dispositions appropriées aux questions soulevées. A partir de l'interprétation des lois identifiées, il établit les étapes de la résolution. Il arrive également à établir les relations entre les faits juridiques intervenant dans le problème. Les réponses aux questions soulevées par le cas pratique sont correctes.
Mais le niveau de langue n'est pas égal à la qualité du contenu. A certains endroits, la syntaxe semble bien compliquée, et les fautes élémentaires de morphologie et de morphosyntaxe sont manifestes. Il se peut que la charge cognitive notionnelle ait été trop élevée pour les éviter.

6.7 Résumé
En résumé, l'analyse des copies permet de relever, en gros, cinq grandes catégories de difficultés:
  • méconnaissance des règles juridiques applicables,
  • erreur dans le choix de la règle,
  • erreur d'interprétation de la règle,
  • erreur du raisonnement ou raisonnement partiel,
  • problèmes de langue individuels: vocabulaire spécifique insuffisant, fautes de morphologie et de morphosyntaxe, problèmes de construction verbale.
L'exploitation didactique des données relevées sera réservée à une contribution ultérieure. Elle devrait entamer la didactisation des résultats et proposer des activités langagières qui puissent contribuer à éviter les principales erreurs.

7 Conclusion: un type nouveau de cours en FOU
À la fin de cet article, il me paraît raisonnable de présupposer plusieurs types de cours en FOU qui n'ont pas encore été tous conceptualisés. Il va de soi que les formations s’attachant aux savoirs, savoir faire et savoir être langagiers et culturels, nécessaires à l’insertion universitaire dans un contexte francophone, font partie intégrante de ce domaine.
Cet article fait émerger un autre type. Il ne faut pas seulement viser l'intégration, mais aussi la réussite des étudiants inscrits dans les doubles cursus discipline-langue ou des cursus intégrés. Réussir veut dire être capable de produire les écrits exigés par les examens disciplinaires dans l'enseignement supérieur français. Cela ne signifie pas qu'il faille organiser un cours spécifique pour chaque matière, mais je propose de regrouper la multitude des cursus universitaires en nombre réduit de domaines:
  • commerce-gestion-économie,
  • droit-administration-sciences politiques,
  • lettres-langues-sciences humaines et sociales ainsi que
  • sciences-mathématiques-informatique-architecture.
La spécificité de ce type nouveau ne concerne pas seulement les contenus linguistiques et en particulier le lexique spécialisé d'un domaine à enseigner, mais une compétence beaucoup plus complexe dont les composantes devraient être définies en fonction du domaine en question. Cependant, si l'on pousse ce raisonnement plus loin, la frontière entre l'enseignement disciplinaire en langue étrangère et les cours de langue risque de s'estomper. Pour réduire ce risque, on pourrait rappeler quelques apports spécifiques d'un cours de FOU du deuxième type:
  1. des contenus disciplinaires explicitement réduits, les savoirs de base,
  2. un savoir structuré et visualisé, cf. les schémas,
  3. le vocabulaire spécifique correspondant limité et structuré,
  4. des exercices thématiques soit pour consolider des structures grammaticales soit pour appliquer des consignes méthodologiques disciplinaires, en bref des types d’exercices que l’enseignement disciplinaire ne prévoit pas.
Ces caractéristiques pourraient guider l'élaboration de dispositifs de formation dans l'avenir. Ils contribueraient à impliquer les enseignants de disciplines d'une manière plus ciblée dans les réflexions sur une formation efficace des étudiants allophones inscrits dans leurs cours.

Références bibliographiques
Un cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner,
évaluer, 2000, Conseil de la Coopération culturelle, Comité de l’éducation,
Division des langues vivantes Strasbourg.
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Auteur :
Dr. Karl-Heinz Eggensperger
Chargé de cours à la faculté de droit
Université de Potsdam
August-Bebel-Straße 89
14482 Potsdam
R.F.A.


1 Mmes Souad Bensalah-Mekkes, Université de Potsdam, Catherine Jaeger, Université Humboldt de Berlin, et M. Gonzague de Prod'homme, Université de Passau, ont eu l'amabilité de lire une version antérieure de cette contribution. Je tiens à les remercier vivement de leurs observations.
2 L'auteur se réfère au modèle du Cadre européen commun de référence pour les langues dont les auteurs considèrent que la compétence à communiquer langagièrement peut être considérée comme présentant plusieurs composantes (Eggensperger, 2010/2011).
3 http://opus.kobv.de/ubp/frontdoor.php?source_opus=71; 20/11/2015
4 En 1993, le centre de ressources langue de l'université de Potsdam a adhéré à UNIcert® qui compte actuellement plus de 50 institutions membres (http://www.unicert-online.org/de/akkreditierte; 20/11/2015).

5 Pour des raisons de commodité, seule la 1ère partie de l’épreuve a été reproduite.