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Journal of Linguistics and Language Teaching

Volume 15 (2024) Issue 1

pp. 33-49


Comment acquérir une compétence d’oral spontané en situation d’apprentissage institutionnalisée


Günter Schmale (Lyon, France)


Résumé

L’acquisition de compétences en oral spontané, objectif prioritaire de l’enseignement scolaire des langues vivantes, nécessite le recours à des paradigmes linguistiques et didactiques appropriés. Au niveau linguistique, il s’agit de se référer à une approche interactionnelle et multimodale de la communication dont les structures de toutes les strates communicationnelles sont à élaborer sur la base de corpus de manifestations conversationnelles en contexte naturel. Les structures servant de base à l’apprentissage-acquisition par l’apprenant sont décrites en tant que constructions lexicogrammaticales, i.e. de structures syntaxiques plus ou moins pourvues lexicalement, que les apprenants mémorisent en tant qu’ensembles holistiques à employer tels quels. Au niveau didactique, il importe, dans une perspective constructiviste de créer un environnement pédagogique qui permet l’apprentissage et la subséquente acquisition durable et opérationnelle des constructions adéquates.

Mots clés : Oral spontané, acquisition, approche interactionnelle et multimodale, construction lexicogrammaticale, approche constructiviste


Abstract (Deutsch)

Der Erwerb spontaner mündlich-dialogischer Kommunikationsfähigkeit, zentrales Lernziel schulischen Fremdsprachenunterrichts, erfordert den Rückgriff auf angemessene linguistische und didaktische Ansätze. Ein interaktionell und multimodal orientiertes linguistisches Vorgehen ist unerlässlich, um auf der Grundlage von Korpora sämtliche Facetten konversationeller Aktivitäten in natürlichen kommunikativen Kontexten zu erfassen. Lernerrelevante kommunikative Strukturen werden so als lexikogrammatische Konstruktionseinheiten beschrieben, d.h. syntaktische Rahmen, deren slots in mehr oder weniger starkem Maße lexikalisch besetzt sind. Derartige Konstruktionen bilden die Grundlage des Fremdsprachenlernens. Um im institutionellen Kontext Motivation und insbesondere dauerhafte kommunikative Kompetenz zu schaffen, ist die Umsetzung eines konstruktivistischen Ansatzes erforderlich.

Stichwörter: Spontane mündliche Fremdsprachenkompetenz, dauerhafter Spracherwerb, interaktionaler und multimodaler linguistischer Ansatz, lexikogrammatische Konstruktionseinheiten, konstruktivistischer didaktischer Ansatz


Abstract (English)

The acquisition of spontaneous oral communicative competence, the main objective of institutional foreign language teaching, requires a return to appropriate linguistic and methodological paradigms. In order to comprehensively describe communicative activities relevant to the foreign language learner on the basis of representative corpora of naturally occurring conversations, an interactional and multimodal approach is essential. These communicative structures are described as lexicogrammatical constructions, i.e. syntactic frameworks whose ‘slots’ are more or less lexically provided and which serve as a basis for foreign language learning. To create motivation and ensure the long-term acquisition of these constructions, it is necessary to apply a constructivist methodology.

Keywords: Spontaneous oral competence, perennial acquisition, interactional and multimodal approach, lexicogrammatical constructions, constructivist methodology




1  Introduction

Sous l’impulsion du Cadre européen commun de référence pour les langues (CERCL), les instructions officielles pour l’enseignement des langues étrangères de l’Éducation Nationale française attachent une importance particulière à l’acquisition d’une compétence orale opérationnelle en situation exolingue, notamment à l’oral en interaction, non préparé en amont, contrairement à l’oral en continu (1).

Les réflexions présentées porteront sur l’apprentissage en contexte institutionnalisé (scolaire, universitaire, école de langue...), non pas sur l’apprentissage au sein de situations en contexte naturel, i.e. non sollicité pour les besoins d’analyse, régies par des paramètres très différents, notamment la poursuite d’un objectif communicatif dans un cadre situationnel authentique ou encore l’interaction avec un locuteur natif. Il s’agira en outre de compétences actives ou productives, différentes des compétences passives ou réceptives qui dépassent en règle générale ce qu’un apprenant devrait être capable de produire de façon active en situation de contact.

La définition de la nature de l’oralité au sein du CERCL reste cependant très éclectique, empruntant à divers paradigmes, a priori pas toujours compatibles, entre autres à la grammaire générative de Chomsky, à la théorie des actes de langage ou à l’analyse de conversations (Schmale 2014). Les approches évoquées par le CERCL et par l’Éducation Nationale ne reflètent pas pour autant l’état actuel de la recherche en linguistique et didactique car elles restent enracinées dans une conception actionnelle-monologique, non pas interactionnelle-dialogique de la communication orale (Puren 2002, Schmale 2016a). Or le développement d’une conception véritablement interactionnelle de l’oralité nécessite le recours à une approche orientée vers les corpus (dans l’acception de Blanche-Benveniste 2005 : 57) ainsi qu’à un modèle linguistique holistique. Ces deux piliers théoriques constitueront le fondement d’une approche didactique de l’apprentissage voire même de l’acquisition (2) de l’oral spontané en classe. La réflexion sera organisée en quatre étapes : Quelle est l’importance de l’oral spontanée pour l’apprenant d’une LE et quels phénomènes de ce registre langagier doit-il maîtriser ? (point 2). Il s’impose ensuite de déterminer un modèle de description de l’oral spontané à des fins didactiques, orienté vers les corpus et une conception holistique des activités conversationnelles (point. 3). Cette dernière sera approfondie à travers une esquisse de la grammaire de constructions (point 4). La mise en pratique en classe nécessite naturellement un positionnement relatif à une approche pour l’enseignement-apprentissage en contexte non-naturel (point 5). En guise de conclusion nous proposerons une esquisse de la conception constructiviste en tant que théorie d’apprentissage (point 6).


2   L’oral spontané – Pertinence et caractéristiques

L’acquisition de compétences opérationnelles en communication orale revêt une importance primordiale pour l’apprenant d’une LE pour plusieurs raisons. 

  • Premièrement, du fait – aussi bien qu’en phylogenèse qu’en ontogenèse – que l’oral l’emporte sans conteste sur l’écrit. Les hommes préhistoriques se sont parlé pour coordonner leurs activités de chasse et les enfants échangent oralement avec leurs parents bien avant qu’ils soient capables de communiquer avec eux au moyen de lettres ou plutôt de courriels ou de SMS dès six ou sept ans. 

  • Deuxièmement, sans même avoir besoin d’évoquer l’incidence grandissante de l’oralité sur la conceptualité de l’écrit, force est de constater que la communication orale occupe une place prépondérante dans la société moderne, en particulier pour ce qui des situations que l’apprenant d'une langue étrangère est susceptible de rencontrer. 

  • Troisièmement, l’interaction verbale est multimodale, fondée sur des facteurs segmentaux (syntaxe et lexique), suprasegmentaux ou prosodiques (débit, intensité, intonation...), corporels (statique, mimique, kinésique…) et contextuels (lieu, heure, interlocuteurs) alors que la communication écrite se limite au niveau segmental. 

Il s’ensuit que la communication orale est régie par des principes à tous les niveaux qui divergent dans une plus grande mesure de ceux de la production écrite. Aussi, cette dernière ne peut servir de modèle pour l’enseignement-apprentissage de l’oral spontanée (en interaction).

Les phénomènes de l’oralité pertinents pour l’apprenant d’une LE, à différencier en fonction de l’âge et du niveau de compétence de l’apprenant, sont à décrire sur la base de corpus de productions orales représentatifs. Il va de soi que toute structure rencontrée au sein d’un corpus oral employée par un locuteur natif n’est a priori pas destinée à être transmise à un apprenant non natif. Aussi, tous les phénomènes propres à l’oralité mis en œuvre par les locuteurs natifs mentionnés par exemple par Fiehler (2001: 123-126) n’ont pas vocation per se à être enseignés à un locuteur non natif, peu importe son niveau de maîtrise de la langue étrangère, entre autres :

  • Au niveau phonétique : les liaisons orales du type hasse, kannse, willse dans le Nord de l’Allemagne (hast du, kannst du, willst du), [‘init] (isn’t it) en anglais relâché tout comme le [‘ʃɛ’pʌ] (je ne sais pas) en français. 

  • Au niveau morphosyntaxique : les “constructions apokoinu” : ich suche das Wörterbuch … brauch ich, tu devrais goûter le roquefort … est très bon, there was a door … led into the kitchen ; le verbe conjugué en deuxième position après des subjonctions telles weil, wenn obwohl, p. ex ich konnte nicht kommen, weil … ich war krank; déclinaison faible de démonstratifs : im Sommer diesen Jahres ; le double superlatif : die meistverkaufteste Single des Jahres.

  • Au niveau lexical : les idiotismes fortement imagés et / ou métaphoriques (ins Fettnäpfchen treten, jmdm. nicht das Wasser reichen können), les expressions argotiques (keinen Bock mehr haben, jmdm. auf den Sack gehen), les jurons (leck mich, Scheiße).

  • Au niveau pragmatique-interactif : correction du partenaire, jeux de mots, activités conversationnelles qui semblent a priori « réservées » au locuteur natif (cf. nos remarques ci-après sur les « culturèmes »). En effet, ce n’est pas à l’apprenant de corriger son interlocuteur/-trice ou encore de faire des jeux de mots qui pourraient être interprétés comme erreur langagier.

Avant de détailler au point suivant un modèle linguistique-communicatif sous-tendant l’apprentissage d’une LE en contexte institutionnalisé, il est nécessaire de préciser les principes fondamentaux qui doivent systématiquement régir tout acte pédagogique en classe de LE. Les activités langagières et communicatives doivent :

  • correspondre à l’âge, au niveau de compétence, à la relation sociale entre locuteur non natif et natif, à la situation de communication ;

  • répondre à un style neutre, non marqué, ne déviant par conséquent de phonétique, morphosyntaxe, lexique, etc. d’un niveau considéré comme standard ;

  • tenir compte de la bonne prononciation des structures en question ainsi que de la communication corporelle (non verbale) : on salue qui et comment ; importance et sens des gestes ; distance par rapport à l’interlocuteur ; 

  • respecter les « culturèmes » (Poyatos 1976, Oksaar 1988), d’une part, les types d’activités ou de comportements fortement attendus (p. ex. utiliser les formules de routine appropriées, gestes / mimiques, conventions de table), d’autre part, les activités ou comportements non admis de la part d’un locuteur non natif susceptibles même de provoquer des réactions réprobatrices comme faire des jeux de mots, revendiquer le statut de natif. Dobrovol’skij & Lubimova (1993) soulignent en effet : 

Als Nichtmuttersprachler muss man sozusagen immer ein doppeltes Spiel spielen nach dem Prinzip: Ich fühle mich zwar in dieser Kultur wie zu Hause, bin mir aber ständig im Klaren, dass es sich für mich dabei um eine fremde Kultur handelt. (ibid.: 156) (3)


3  Une approche holistique pour la description de l’oral spontané

Fondés sur les principes esquissés ci-devant, un modèle linguistique qui facilite le développement d’une compétence communicative interculturelle opérationnelle sera mis en œuvre. Générer de telles capacités présuppose l’existence d’automatismes communicatifs, indispensables afin de pouvoir interagir efficacement en situation exolingue. Or, de tels automatismes, composés de structures communicatives mémorisées et spontanément activables, nécessitent comme condition sine qua non le recours à des structures langagières holistiques, toutes faites, préfabriquées, ou encore préformées. En effet, l’approche classique recourant à la transmission de règles grammaticales d’ordre théorique accompagnées de listes de vocabulaire s’avère inefficace à la création d’automatismes. S’il est vrai que l’approche actionnelle, qui n’est du reste toujours pas interactionnelle avec tout ce que cela implique, privilégie le succès communicatif à la correction grammaticale et, dans une moindre mesure, lexicale (4), cette méthodologie inspirée fortement de la théorie des actes du langage, s’appuie néanmoins sur une description traditionnelle de la structure langagière. Comme évoqué, cette approche s’est avérée non productive, a fortiori lorsqu’elle :

  • est trop abstraite pour le jeune apprenant ;

  • présente les phénomènes en question de manière décontextualisée, en faisant abstraction de situations de communication susceptibles de tenir compte de la multimodalité et des facteurs d’utilisation appropriés ;

  • s’appuie sur la traduction dans la langue maternelle des apprenants alors le phénomène respectif est soumis à des contraintes non comparables (Schmale 2016b pour la construction passive ou Schmale 2020b pour les verbes de modalité sollen et müssen) ;

  • comprend des erreurs descriptives (ibid.).

En revanche, un modèle d’apprentissage efficace d’une LE doit, d’une part, décrire tout phénomène linguistique et communicatif sur des bases de corpus de communications en contexte naturel, et d’autre part, en fonction de constructions lexicogrammaticales, c'est-à-dire de cadres syntaxiques lexicalement plus ou moins pourvus, réactivables tels quels ou facilement transformables en tant qu’énoncés (par définition multimodaux).

Une telle approche holistique stipule que les communicants recourent à des constructions lexicogrammaticales préformées, comme le souligne Bolinger (1976) :

[…] our language does not expect us to build everything starting with lumber, nails, and blueprint, but provides us with an incredibly large number of prefabs, which have the magical property of persisting even when we knock some of them apart and put them together in unpredictable ways. (Bolinger 1976: 1)

Gasparov (2004) va même jusqu’à affirmer que 

Whatever we say or perceive in speech is made from other facts of speech, which we recognize more or less as being present in our previous experience and being set in our memory. (Gasparov 2004: 46) 

Les recherches sur la préformation langagière existent de longue date, remontant à Bréal (1972), Paul (1880) ou Bally (1909) pour n’en citer que quelques unes (Schmale 2021a). Plus récemment, certains travaux proposent des études quantitatives relatives à la fréquence d’utilisation pour arriver à un taux de 70 % (Wray & Perkins 2000) ou même de 80% de « formulaic material » (Wray 2000: 466) (5). Ces résultats sont toutefois à prendre avec précaution, compte tenu de critères de classement peu distinctifs.

Mais attention, toute structure préformée n’a pas automatiquement vocation à être utilisée par le locuteur non natif. Nous écartons, en effet, de l’enseignement tout apprentissage systématique de proverbes (Morgenstund hat Gold im Mund) et de lieux communs (Was sein muss, muss sein), d’expressions idiomatiques fortement imagées et sémantiquement non compositionelles (Öl ins Feuer gießen, ins Fettnäpfchen treten), mais aussi de certains types de formules de routine (das verbitte ich mir, das glaubst du doch selbst nicht).

Tout d’abord parce que les catégories phraséologiques évoquées font partie des culturèmes, c'est-à-dire des phénomènes communicatifs "réservés" aux natifs dont l’emploi par un apprenant de LE n’est que rarement salué de façon positive, pouvant même entraîner des réactions négatives si l’emploi ne correspond pas à l’âge ou au statut social de l’apprenant, notamment s’il peut être interprété comme prise de position haute.

De plus, étant donné la complexité de leurs structures syntaxique et sémantique et leurs conditions d’utilisation, ces expressions préformées sont difficilement mises en œuvre de façon communicativement adéquate par un apprenant. Ceci d’autant plus que les recherches en phraséologie, lexicologie et lexicographie se sont peu intéressées aux fonctions communicatives, ayant mené leurs investigations de surcroît à partir de corpus écrits, non pas conversationnels (Schmale 2023).

En outre, une analyse de large corpus révèle que même les locuteurs natifs font très peu appel aux idiotismes que l’on trouve dans les collections et dictionnaires spécialisés (p. ex. le Duden 11, 2020). Les études de grands corpus en témoignent, p. ex. Moon (1996) : 

Note, however, that 30% of the idioms in The Collins COBUILD Dictionary of Idioms (1995) occur less often than once per 10 million words in The Bank of English. (Moon 1996 : 252)

Pour l’allemand, Schmale (2023) démontre que seulement un nombre négligeable des idiotismes appartenant à une liste se revendiquant le statut de « Phraseologisches Optimum » (Hallsteinsdottir et al. 2006 : 133-136) (6) se retrouvent effectivement dans un corpus de 32 heures d’enregistrements de talk-shows, mis à part sich ein Bild machen, aus heiterem Himmel, unter einen Hut bringen, die Nase voll haben, auf die Nerven gehen, auf den Punkt bringen, keine Rolle spielen, aufs Spiel setzen, rote Zahlen schreiben, Rede und Antwort stehen, auf dem Spiel stehen. D’un autre côté, un nombre à peine légèrement supérieur des phrasèmes idiomatiques du corpus étudié sont employés dans un grand corpus de langue parlée comme la Datenbank Gesprochenes Deutsch (DGD) de l’IDS Mannheim (7), p. ex. keinen Bock (mehr) haben, auf die Nerven gehen, mit dem ersten Schritt beginnen, den Schwarzen Peter haben et quelques rares occurrences supplémentaires. 

Il faut néanmoins admettre que la représentativité d’un corpus ne peut être que relative, comme le constate Steyer (2003) : 

Er (i.e. der Linguist; GS) muss sich zunächst von der Idee der absoluten Repräsentativität eines Korpus verabschieden, eines repräsentativen Korpus, das ihm dazu verhilft, sprachlichen Usus schlechthin beschreiben zu können. Repräsentativität kann in unserem Verständnis nur ein relationaler Terminus sein, ein Korpus ist repräsentativ in Bezug auf etwas (etwa auf einen Teil der Sprachgemeinschaft, auf einen Text- bzw. Diskursbereich, auf eine historische Etappe usw.). (Steyer 2003: 35)

Force est néanmoins de constater que l’emploi d’idiotismes reste l’exception, d’un côté, et que la prétention des travaux cités ci-devant de présenter le minimum voire l’optimum du stock phraséologique de l’allemand a été falsifiée. Même si l’on s’appuyait sur des corpus représentatifs relatifs aux besoins communicatifs d’un apprenant LE, on ne pourrait du reste pas envisager l’apprentissage des expressions préformées par des locuteurs natifs pour les raisons développées plus haut.

En revanche, certaines catégories de phrasèmes doivent obligatoirement constituer une partie intégrante de la compétence productive de chaque apprenant : les formules de routine, les collocations et les constructions :

  • Les formules de routine ou pragmatèmes accomplissent des activités communicatives sous une forme conventionnelle ou stéréotypée dans quasiment toutes les situations de communication ou contextes discursifs imaginables, à l’écrit comme à l’oral, p. ex. saluer, remercier, s’excuser, féliciter, se plaindre, se renseigner etc. Elles sont indispensables pour que l’apprenant LE puisse agir et interagir de manière compétente en situation de contact sous peine de sanctions communicatives. 

  • Les collocations sont des combinaisons usuelles d’unités lexicales, tels que sich die Zähne putzen, se laver les dents, brush one’s teeth ou encore einen Termin vereinbaren, prendre rendez-vous etc., make an appointment. Ces associations lexicales doivent être apprises par l’apprenant car, bien qu’interprétables en contexte, la production pourrait induire des transferts erronés en raison de la variation des verbes collocateurs entre les langues citées. Elles sont de ce fait incontournables, en particulier face à milliers de collocations dont l’étude sur corpus de discours en contexte naturel n’est qu’à ses débuts.

  • Les constructions dans l’acception de la grammaire de construction (CxG) sont des combinaisons lexicogrammaticales, c'est-à-dire des cadres morphosyntaxiques plus ou moins prévus lexicalement. Elles dépassent largement le champ des expressions phraséologiques étudiées jusqu’à présent.

Étant donné que ces constructions sont au cœur de l’approche holistique préconisée, un point entier du présent article lui sera consacré.


4   Les constructions lexicogrammaticales

Dans leur article fondateur de la grammaire de construction (CxG), Fillmore, Kay & O’Connor (1988) partent de l’idée que ce qui est idiomatique dans les langues ne peut être saisi par une « atomistic grammar » (ibid.: 504). Ils définissent l’“idiomaticité" de la manière suivante : 

We think of a locution or manner of speaking as idiomatic if it is assigned an interpretation by the speech community but if somebody who merely knew the grammar and the vocabulary of the language could not, by virtue of that knowledge alone, know (i) how to say it, or (ii) what it means, or (iii) whether it is a conventional thing to say. Put differently, an idiomatic expression or construction is something a language user could fail to know while knowing everything else in the language. (ibid.: 504)

Les auteurs définissent les constructions, regroupant des « exceptional phenomena, minor sentence types, special constructions, locutions, manners of speaking » (ibid.: 504), en tant que ‹ form-meaning-pairs › dont la description doit recourir à des informations non seulement syntaxiques, mais aussi lexicales, sémantiques et pragmatiques (ibid.: 501). Il existe deux types de constructions : d’une part, les « substantive idioms » dont « lexical make-up is (more or less) fully specified » (ibid.: 505), qui correspondent donc grosso modo aux expressions phraséologiques classiques, d’autre part, les « formal idioms », « syntactic patterns dedicated to semantic and pragmatic purposes not knowable from their form alone » (ibid.: 505-506), i.e. des cadres syntaxiques proposant des « slots » à remplir par des unités lexicales dont le choix est toutefois restreint co- et contextuellement (8).

Face à ce paradigme fondamentalement cognitiviste et, par conséquent, non empirique, nous favorisons – d'après Ziem & Lasch (2013) – une approche fondée sur l’usage au sein de corpus de conversations en contexte naturel. En effet, afin de démontrer que les constructions – et en particulier quelles constructions – sont réellement enracinées dans la mémoire des communicants et réactivables telles quelles, un recours à la linguistique de corpus est indispensable. Seule une telle approche empirique est à même de véritablement décrire tous les facteurs afférents à l’emploi en contexte naturel des activités communicatives au niveau segmental, prosodique, corporel, pragmatique etc. Ziem & Lasch (2013) soulignent de ce fait : 

Als Konstruktion dürfen […] Form-Bedeutungspaare gelten, insofern Form und Bedeutung in einem weiten Sinn verstanden werden, dergestalt, dass erstere nicht nur phonologische, sondern auch syntaktische Aspekte umfasst, und letztere nicht nur semantische Aspekte, sondern auch pragmatische Gebrauchsbedingungen einschließt. Konstruktionen sind demnach weder hinsichtlich ihrer Abstraktheit noch hinsichtlich ihrer Komplexität beschränkt. (Ziem & Lasch 2013: 10)

Adoptant une perspective fondée sur l’usage en contexte naturel d’une part, et interactionniste, d’autre part, les constructions lexicogrammaticales sont régies par trois principes fondamentaux : 

  • La conventionnalité : Les constructions sont employées de manière récurrente sous une forme a priori non figée au sens strict, mais reconnaissable à partir de dénominateurs minimaux de préformation. Leur forme avec tout ce qu’elle implique est déterminée à partir de l’étude de grands corpus de communication en contexte naturel.

  • La nature cognitive et conceptuelle : Leur forme de base correspond à une combinaison d’éléments syntaxiques, lexicaux et fonctionnels qui est inscrite en mémoire, mais qui doit être mise en œuvre au sein de contextes langagiers pouvant nécessiter des adaptations, des modifications et des changements.

  • La polyfactorialité : Les constructions sont composées de facteurs morphosyntaxiques, lexicaux, prosodiques, corporels, cotextuels et contextuels. Elles sont, par conséquent, déterminées à partir de leur polyfactorialité, la polylexicalité ne constituant plus une condition suffisante. Même si la plupart des phrasèmes sont le plus souvent polylexicaux, ils peuvent de ce fait être monolexicaux, p. ex. les formules de routine Achtung !, Vorsicht !, Glückwunsch !, liant un monolexème à une fonction au sein d’une situation caractéristique, des facteurs spécifiques étant donc étroitement rattachés à leur emploi. Il importe de souligner que tout phrasème qu’il soit polylexical ou monolexical, est a priori soumis à la polyfactorialité (Schmale 2020a).

À titre illustratif, ci-après quatre types de constructions, décrits par la recherche dans ce domaine, qui ne cesse de prendre de plus en plus d’ampleur : 

  • La construction réponse dubitative : Ich und zu spät ? Er und ein Freund? Du und verlässlich?Lui avocat? Moi abandonner? Lui s’excuser ?Me, lie / a lier? Her, sing arias? Me, crazy?

  • La construction exclamation / emphase : Wie geil ist das denn! Wie bescheuert ist das denn!Qu’est-ce que c’est bête / nul / idiot !How strange / weird / stupid is that! 

  • La construction expression du désespoir : Es ist zum Haare ausreißen! Es ist zum wahnsinnig werden! Es ist zum Verzweifeln!C’est à se taper la tête contre le mur !

  • La construction mécontentement / reproche : Was glotzt du mich so °an? Was °redest du da? Was °soll das? (9)Qu’est-ce qu’il a à me regarder comme ça ? Mais qu’est-ce qu’il a à vouloir tout changer ?Why are you staring at me? Why are you saying that?

À la suite des principes posés plus haut (point 3), il convient toutefois d’écarter ces types de construction des structures destinées à l’apprentissage par l’apprenant d'une langue étrangère. Elles sont, en effet, trop marquées stylistiquement et trop idiomatiques pour être employées par un non natif.

Nous proposons, en revanche, une approche semi-inductive, en tentant de décrire en tant que constructions des phénomènes langagiers qui posent problème aux apprenants de l’allemand comme langue étrangère. Cette approche sera illustrée par le biais d’une esquisse de la particule modale denn, omniprésente dans les manuels de l’allemand depuis le niveau le plus élémentaire, sans pour autant générer un emploi correspondant à la réalité communicative. Une description de denn en tant que construction voire au sein de constructions (10) tentera de remédier à cette lacune.

L’emploi préconisé de denn dans les manuels scolaires semble suggérer que toutes les questions imaginables doivent être posées en insérant denn, la formule type que l’on trouve systématiquement étant Wie heißt du denn? De toute évidence, promouvoir une telle utilisation témoigne de l’absence d’une analyse fondée sur un corpus de conversations en contexte naturel concernant la description des formes et fonctions de cette particule modale en général. Le fait que l’on rencontre une seule et unique occurrence de Wie heißt du denn?, adressée par une institutrice à un nouvel élève, dans le corpus FOLK du DGD comprenant 3172 énoncés avec denn en position d’énoncés non initiale, en témoigne.

L’examen détaillé des tokens d’un échantillon de 1000 occurrences avec denn révèle en effet sept proto-constructions avec denn dont voici un type susceptible d’être utile pour un apprenant (adolescent) de l’allemand : {interrogatif en w-} ou {Ø} + V + {pron. pers.} + denn + {complément} + ? (11) qui a pour fonction d’assurer et d’approfondir une information préalable fournie par le partenaire d’interaction. Cette proto-construction – tout comme les variantes avec denn détaillées par Schmale (2021b, 2022) – a été le résultat de recherches sur corpus de conversations entre adultes, c'est-à-dire non pas entre jeunes dont l’âge correspond à celui d’apprenants adolescents. 

Des corpus représentatifs du langage des jeunes n’existaient par ailleurs pas à l’heure actuelle. Ceux comme le JuSpil (27/02/2024) (Bahlo & Fladrich 2015) ne peuvent guère servir de modèle pour l’apprentissage de l’allemand. Compte tenu des observations relatives aux culturèmes, il n’est peu souhaitable que le langage employé par un jeune apprenant s’inspire de celui d’un jeune natif, s’agissant de tournures argotiques voire même vulgaire en particulier ou déviantes de la norme en général. Les énoncés ainsi que les mini-dialogues (1) à (3) plus avant, ont dû être construits par l’auteur de la présente contribution afin d’illustrer les constructions avec denn qui pourraient proposer l’objet de l’enseignement. Toutefois, les constructions et les mini-dialogues ne sont nullement le seul fruit de l’imagination de l’auteur du présent texte étant donné qu’il dispose d’une très longue expérience de l’enseignement de l’allemand à tous les niveaux. Cette expérience ne peut néanmoins se substituer à une étude sur corpus représentatif qui aura pour l’objet de vérifier, de rectifier ou de falsifier les modèles suggérés, le cas échéant. Le tableau suivant, qui ne prétend aucunement à une quelconque exhaustivité, la liste des interrogatifs en w- se limitant délibérément à ceux susceptible d’être à la portée d’un apprenant, reste donc a priori incomplet. Les énoncés type listés ont, par conséquent, pour seul objectif de fournir une illustration des activités langagières prétendument utiles dans la poursuite des buts communicatifs d’un l’apprenant :

{interrogatif en w-} ou {Ø} + V + {PP} + denn + {COMP} + ?

w- / Ø

Énoncés type (niveau B1/B2)

Ø

Hast du ihn denn mal gefragt? 

Kannst du die Reise denn bezahlen?

was

Was willst du denn später mal werden?

wo

Wo wohnst du denn

Wo ist denn das Kino? 

Wo wollen wir uns denn treffen?

wohin

Wohin wollt ihr denn in Urlaub fahren? 

Wohin hast du denn den Brief geschickt?

woher

Woher weißt du das denn?

wann

Wann soll ich denn kommen? 

Wann bist du denn angekommen? 

Wann fängt denn das Spiel an?

wie

Wie war denn der Film? 

Wie hat das Essen denn geschmeckt?

wer

Wer ist denn jetzt dran? 

Wer hat denn Lust mitzukommen?

wem

Wem hast du denn das Buch geliehen? 

Wem soll ich denn das Geld geben?

worüber

Worüber habt ihr euch denn unterhalten? 

Worüber soll ich denn ein Referat halten?

Tableau 1: Exemples illustrant la proto-construction avec denn


Bien évidemment, les énoncés ci-devant sont à placer dans des contextes communicatifs adéquats étant donné que la fonction principale de la particule modale denn ne réside nullement dans l’atténuation de l’acte de parole d’accueil, mais avant tout dans la recherche d’approfondissement d’une information (au sens large) livrée par le partenaire d’interaction verbale en contexte amont. L’énoncé avec denn ne peut occuper en effet que très exceptionnellement la première partie d’un échange, c’est-à-dire poser cette question wie heißen Sie denn ? de but en blanc à un adulte serait tout simplement plus que curieux voire carrément faux.

À titre d’illustration, quelques mini-échanges avec les constructions type évoquées ci-dessus :

(1) A veut inviter B à lui rendre visite, mais B ignore où habite A : 

A: Willst du morgen Nachmittag zum Kaffeetrinken zu mir kommen?

B: Gern, wo wohnst du denn?

A: In der Mozartstraße 32.

B: Gut, ok. Und wann soll ich kommen?

A: So um drei, passt dir das?

B: Ja, prima, dann bis morgen.

A: Alles klar.


(2) A a envoyé une lettre à B que ce dernier n’a pas reçue : 

A: Hast du meinen Brief gekriegt?

B: Nein, noch nicht. Wann hast du ihn denn geschickt?

A: Letzte Woche schon.

B: Komisch, an welche Adresse hast du ihn denn geschickt?

A: Na, an deine in der Münchner Allee 45.

B: Ja, die Adresse ist richtig.


(3) A raconte à B qu’il est allé au cinéma : 

A: Du, ich war gestern im Kino.

B: Was hast du dir denn angeschaut?

A: Den neuen Film mit Leonardo DiCaprio.

B: Und wie war der Film?

A: Ehrlich gesagt, war ich ein bisschen enttäuscht.

Les mini-échanges inventés à des fins illustratives démontrent que toutes les activités des séquences (1) à (3) intégrant la particule modale denn sont précédées d’une information initiale délivrée par le partenaire d’interaction A dont B souhaite approfondir le contenu. La PM occupe dans ce co(n)texte effectivement un rôle d’atténuation du contenu exprimé, rendant la force illocutoire moins intense, la question moins péremptoire. Il ne faut toutefois pas oublier que le contraire peut être le cas, i.e. que denn peut aussi rendre une question plus tranchante, même plus agressive, p. ex. dans Was soll °das denn ? Le même constat serait à faire pour Wie heißen °Sie denn ?, adressée à un adulte, alors que Wie °heißen Sie denn? serait très inhabituelle voire saugrenue de la part d’un jeune apprenant car la tournure impliquerait la prise d’une position haute.


5 Principes pour l’enseignement-apprentissage de l’oral spontané en contexte institutionnalisé

Employer de manière compétente les constructions comme tout autre phénomène langagier (y compris la corporalité) comme condition de la possibilité de communiquer spontanément à l’oral, nécessite naturellement la mise en œuvre d’éléments constitutifs en contexte institutionnalisé. Sans prétendre à une présentation exhaustive, voici les principes sine qua non:

  • Le recours systématique aux supports pédagogiques multimodaux tenant compte aussi bien du niveau segmental que prosodique ainsi que du mimogestuel et présentant tout phénomène communicatif dans son contexte d’utilisation. Le recours aux applications via le smartphone (Boostani 2020) pourrait être envisagé.

  • Bien que cette exigence puisse sembler presque banale, agencer l’environnement de cours en U ou en fer à cheval est une condition indispensable pour la communication entre tous les participants. Un agencement frontal entraînerait obligatoirement le passage de toute intervention communicative par l’enseignant.

  • Ce dernier doit au contraire se mettre en retrait pour devenir facilitateur en cas de besoin. La pratique de l’oral ne sera guère spontanée si le professeur reste omniprésent intervenant dans toutes les activités communicatives, a fortiori lorsque c’est lui qui initie et dirige tout échange. 

  • Chaque acte communicatif concernant une activité pratique du cours – p. ex. s’excuser pour un retard, demande d’ouvrir la fenêtre, solliciter des explications, annonces de l’enseignant  – doit obligatoirement être produit en langue cible. Ce sont en effet des activités du cours ayant un objectif communicatif réel en contexte institutionnalisé contrairement aux dialogues simulant des futurs échanges potentiels. Il est donc primordial de ne pas donner l’impression aux apprenants qu’on parle allemand lorsqu'il ne s'agit pas d'une situation réelle, mais français, la langue maternelle, lorsque “c’est sérieux”. Tout en respectant, cela va de soi, le principe de l’emploi de langue cible de manière éclairée (“aufgeklärte Einsprachigkeit” en reprenant la notion fondée par Butzkamm (1973)).

  • Dans la mesure du faisable, tout exercice oral, structural ou lexicogrammatical doit être organisé sous forme dialogique (mini-jeux de rôle) entre apprenants. L'entraînement à l’emploi de la particule modale denn pourrait donner lieu à un échange du type :

A: Hast du Lust, morgen mit ins Kino zu kommen?

B: Was läuft denn im Moment?

A: Rambo Nr. 15.

B: Nein danke, kein Interesse.

Il s’agit, en effet, de créer le maximum d’occasions de prise de parole à l’apprenant dans des contextes s’approchant de la réalité communicative.

  • L’approche constructiviste, qui sera esquissée au dernier point en guise de conclusion, semble particulièrement à même de faciliter l’acquisition (à long terme) de compétences relatives à l’oral spontané au détriment d‘un apprentissage à court terme.


6 En guise de conclusion – La conception constructiviste de l’apprentissage d’une langue étrangère

L’approche du constructiviste, dont les principes sont fondés sur une longue tradition de réflexion pédagogique et philosophique (Caine & Caine 1991), plus récemment confortés par des recherches en neurosciences, constitue en effet une condition nécessaire à l’acquisition d’une compétence en oral spontané de l’apprenant LE. Kurt (2021) souligne par conséquent :

The theory of constructivist learning is vital to understanding how students learn. The idea that students actively construct knowledge is central to constructivism. Students add (or build) their new experiences on top of their current foundation of understanding. As stated by Woolfolk (1993) ‘learning is active mental work, not passive reception of teaching’. (Kurt 2021, sans pages)

La création d’automatismes, stipulée comme base indispensable de toute production orale spontanée, présuppose en effet l’existence de constructions de schémas communicatifs, organisés au sein de systèmes de mémorisation flexibles, liés les uns aux autres à travers des synapses et, de ce fait spontanément activables.

Avec l’objectif de créer de tels systèmes de connaissances holistiques mémorisés, il est essentiel de respecter certains principes pédagogiques qui sous-tendent la condition de la possibilité de l’acquisition (par définition pérenne) qui dépasse un simple apprentissage de (plus) courte durée. Sans pouvoir détailler l’intégralité des douze principes de "brain-based learning" (Caine & Caine 1991: 79-87), nous nous contentons des principes fondamentaux suivants :

  • « […] specific ‘items’ are given meaning when embedded in ordinary experiences » (ibid.: 86). Cet axiome élémentaire stipule grosso modo que l’apprentissage doit avoir lieu au sein de situations les plus naturelles possibles qui permettent de mettre en œuvre le principe du “learning by doing”.

  • « The brain is a parallel processor » (ibid.: 80) qui ne traite pas simplement des informations proposées, mais qui est influencé par les pensées, l’état physique et psychique de l’apprenant, son humeur, ses sensations et ses préférences, qui tous ont une incidence sur le stockage, le “patterning” (ibid. : 80), des faits et des connaissances, qui relèvent, de surcroît, de la personnalité de chaque individu, ce qui fait que les activités pédagogiques implémentées en classe doivent être les plus variées possible afin que chaque apprenant y trouve son compte.

  • « Learning engages the entire physiology » (ibid.: 80-81) est une maxime proche de la précédente. Elle définit apprentissage et mémorisation en tant que processus relevant des cinq sens qui font que chaque apprenant assimile des faits et connaissances d’une manière individuelle et plus ou moins unique. Même s’il existait véritablement des types d’apprenants oraux ou écrits (ce dont on peut douter dans leur exclusivité), l’enseignant doit néanmoins organiser les activités d’apprentissage les plus variées possibles. Cette maxime est d’autant plus importante que les

  • « Emotions are critical to patterning » (ibid.: 83-83) étant donné que la possibilité de développement d’émotions passe nécessairement par les cinq sens. Un souvenir personnel illustre bien cette prémisse: L’auteur du présent article, 59 ans après, se souvient encore comme si c’était hier de son premier cours d’anglais à l’âge de 10 ans, dans lequel la professeure a joué de l’harmonica et a fait chanter les élèves « This old man… ». Cette expérience, bien évidemment individuelle et isolée, démontre toutefois que l’appel aux sens peut provoquer des émotions très positives (12).

  • « Learning is enhanced by challenge and inhibited by threat » (ibid.: 86-87). Tout comme générer des opportunités susceptibles de déclencher des émotions positives, créer une ambiance dépourvue de menaces de sanctions est primordial. Il s’agit en particulier de renoncer aux interruptions et corrections inutiles lors du processus d’expression orale de l' apprenant dans la mesure où l’on comprend ce dernier. Des générations d’apprenants français nous on dit qu’ils préféraient ne pas s’exprimer oralement par crainte d’être interrompus de toutes façons par l’enseignant pour les corriger.

  • « The brain processes parts and wholes simultaneously » (ibid.: 83) finalement revient sur l’approche par constructions lexicogrammaticales au détriment de règles abstraites (Schmale 2020b). Le cerveau ne mémorise donc pas les unités lexicales discrètes, mais plutôt les entités communicatives intégrales. L’enseignement des langues étrangères doit en tenir compte et abandonner les méthodes classiques procédant par règles + vocabulaire.

Les axiomes développés ci-devant constituent selon l’approche constructiviste la condition de la possibilité de l’acquisition, i.e. d’une mémorisation pérenne, et d’une activation automatisée permettant une expression orale spontanée et la poursuite efficace d’objectifs communicatifs d’un apprenant d’une langue étrangère. Qui plus est, l’organisation de toute activité d’enseignement-apprentissage en contexte institutionnel, respectant les principes esquissés, contribue très largement à la motivation de l’apprenant d’apprendre et idéalement d’acquérir de nouvelles connaissances et les mettre en œuvre dans des contextes nouveaux. 



Références 

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Auteur : 

Günter Schmale

Professeur émérité de linguistique allemande

Université Jean Moulin Lyon 3

Faculté des Langues

6 Cours Albert Thomas

F – 69355 Lyon Cedex 08

Courriel : gunter.schmale@univ-lyon3.fr – gunter.schmale@free.fr

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(1) La présente contribution se fait dans le prolongement d’une conférence plénière proposée lors de la journée d’études « Linguistique et didactique de l’oral spontané en France », Université Toulouse le Mirail, le 07 octobre 2022, co-organisée par Liubov Patrukhina (Univ. Toulouse le Mirail) et Jeanne Vigneron-Bosbach (Université de Poitiers).

(2) En nous référant à la distinction d’Holec (1989) entre “l’apprentissage” et “l’acquisition”, la dernière relevant d’un processus individuel, a priori incontrôlable par l’enseignant.

(3) En tant que locuteur non-natif on doit jouer un double jeu selon le principe : Je me sens chez moi dans cette culture tout en acceptant qu’il s’agit pour moi d’une culture étrangère. (notre traduction)

(4) Interdisant même le cours grammatical traditionnel.

(5) Erman & Warren (2000) affirment que 52% de la production écrite et 58% de la production orale sont composés de structures fabriquées.

(6) Pas plus que ceux de la collection proposée par Dobrovols’kij (1997 : 265-288) intitulée « Phraseologisches Minimum ».

(7) https://dgd.ids-mannheim.de/dgd/pragdb.dgd_extern.welcome (17/09/2023).

(8) Nous faisons abstraction de l’approche largement discutée de Goldberg (2006), qui préconise une conception extrêmement étendue de la notion de “construction”, y intégrant des éléments même au niveau du morphème.

(9)  Le signe ° marque l’accent d’énoncé de ces trois constructions allemandes.

(10) Compte tenu de sa polyfactorialité, denn pourrait effectivement être considérée comme “construction” à part entière au sens défini tout comme une formule de routine monolexicale comme salut avec la seule différence que la dernière est liée à des situations de communications spécifiques alors que denn joue un rôle essentiel dans la constitution d’une activité langagière marquée.

(11) Légende : {} = élément facultatif ; Ø = position non occupée ; V = verbe conjugué ; PP = pronom personnel ; COMP = complément au sens large (objet, partie de la base verbale, adjectif, etc.).

(12) Le changement pour un professeur “grammairien” l’année suivante a laissé un souvenir également très fort, cependant extrêmement peu positif.