Journal of Linguistics and Language Teaching
Volume 16 (2025) Issue 2
Pratiques de télécollaborations interculturelles, enjeux curriculaires et démocratiques
Martine Derivry-Plard (Université de Bordeaux, France)
Résumé (Français)
En s’appuyant sur près de vingt ans de pratiques de télécollaborations interculturelles, cet article propose de dégager les enjeux curriculaires et démocratiques pour la formation de demain que ces dispositifs mettent au travail dès l’enseignement primaire jusqu’à l’enseignement supérieur. Il assume le terme de télécollaborations interculturelles qui semble plus adapté au terme actuellement en cours d’échanges virtuels et prend en compte l’historicité et la spécificité de ces dispositifs pour l’enseignement des langues. À partir d’exemples concrets, trois grandes configurations sont proposées permettant une première modélisation de ces dispositifs pour les enseignements de langues et en langues. Les télécollaborations interculturelles s’avèrent ainsi proposer une reconsidération du curriculum des langues pour lequel les objectifs sont renversés : la communication interculturelle devient l’objectif premier et le linguistique, l’objectif second et indispensable à l’appui et à l’étayage du premier. De plus, une analyse plus approfondie de ces dispositifs encourage la conceptualisation d'un curriculum plurilingue et pluriculturel en éducation, qui serait un levier d'une éducation démocratique et inclusive, formant à une citoyenneté interculturelle.
Mots-clés : Télécollaborations interculturelles, échanges virtuels, curriculum plurilingue, éducation démocratique et inclusive aux langues
Abstract (English)
Drawing on nearly twenty years of intercultural telecollaboration practices, this article proposes to identify the curricular and democratic issues for tomorrow's training that these learning environments put to work from primary to higher education. It assumes the term intercultural telecollaborations, which seems more appropriate than the current term virtual exchanges, and takes into account the historicity and specificity of these learning environments for language teaching. Based on concrete examples, three main configurations are proposed, enabling an initial modelling of these intercultural telecollaborations for language teaching and learning. Thus, intercultural telecollaborations appear to offer a new approach to the language curriculum, with reversed objectives: intercultural communication becomes themary objective, while linguistics becomes the secondary objective that is essential to supporting and underpinning the former. In addition, a more precise analysis of these learning environments encourages the conceptualisation of a plurilingual and pluricultural curriculum in education, as a lever for a democratic, inclusive education leading to intercultural citizenship.
Keywords: Intercultural telecollaborations, virtual exchanges, multilingual curriculum, democratic and inclusive language education
1 Introduction : Les enjeux démocratiques de l’éducation d’aujourd’hui
L’éducation de nos jours doit pouvoir aider les jeunes générations à répondre aux trois grands défis de l’humanité. Le premier de ces défis concerne le réchauffement climatique dont les conséquences menacent l’équilibre environnemental mondial. Il est, par conséquent, impératif que les jeunes générations puissent trouver des solutions collectives au-delà des langues, des cultures et des quelques cent-soixante états qui constituent le monde d’aujourd’hui afin de maintenir et d’aménager les déséquilibres engendrés par la croissance et l’anthropocène. Le deuxième de ces défis a trait à l’accroissement des inégalités économiques entre les ultra-riches et puissants qui consomment sans compter et ceux qui ne peuvent répondre à leurs besoins les plus élémentaires.
Ce deuxième défi est lié au premier car la richesse, la consommation et l’extrême dénuement ne peuvent être abordés sans la question climatique et les déséquilibres environnementaux. Ce deuxième défi est lui-même lié au troisième défi, celui des enjeux démocratiques liés aux ressources environnementales, mais aussi humaines et non-humaines avec la dernière révolution technologique que sont le numérique et les IA. Ces trois défis sont interdépendants et les solutions ne peuvent qu’être interdisciplinaires. Ils s’inscrivent tous les trois dans les enjeux démocratiques de l’espèce humaine par une répartition équitable des ressources physiques et virtuelles pour une planète durable.
L’éducation doit pouvoir préparer ceux qui devront trouver des solutions complexes d’équité dans un monde soumis à de la compétition et de la consommation effrénées comme modèles, aux tensions entre globalisation néolibérale par la financiarisation du système économique et les replis identitaires et nationalistes, entre les valeurs progressistes et libérales des droits humains et les valeurs réactionnaires de ceux qui sont mus par l’asservissement des autres.
Pour que l’éducation prépare les jeunes générations à ces défis immenses, il faut qu’elle puisse donner l’exemple d’une éducation durable et démocratique, réductrice des inégalités et respectueuse de la diversité des humains en s’attelant à reconnaître les parcours linguistiques des apprenants comme ceux des enseignants, répondant ainsi à un premier droit humain, celui de pouvoir s’exprimer dans la ou les langues de son choix.
Par conséquent, l’éducation ne peut se conceptualiser uniquement selon un paradigme monolingue/monoculturel qui exclut, mais selon un paradigme plurilingue/pluriculturel qui inclut. Les enjeux démocratiques de l’éducation dans ce contexte mondialisé sont de trouver les justes milieux entre le local et le global selon l’expression du biologiste René Dubos et du philosophe Jacques Ellul « penser globalement, agir localement »nt » (Gianinazzi, 2018). Si l’éducation est fondamentale pour reprendre les réflexions de Montaigne (Montaigne, 1ère ed1580, La Pleiade, 2007) de découverte de l’altérité, les langues et les cultures sont alors parties prenantes de ce processus éducatif démocratique. D’un point de vue disciplinaire, les sciences de l’éducation doivent pouvoir intégrer les sciences du langage et la didactique des langues dans leur domaine car toute éducation se fait dans une ou des langues. De même, les sciences du langage et la didactique des langues ne peuvent plus écarter les sciences de l’éducation dans la mesure où le langage et les langues font partie des apprentissages fondamentaux. Dans ce postulat démocratique des langues et des cultures au cœur de l’éducation, leur enseignement doit être radicalement revisité en s’appuyant sur les nouvelles technologies (traducteurs automatiques, reconnaissances vocales, applications et IA d’apprentissage des langues), en reprécisant les objectifs et les finalités de l’enseignement des langues et en langues et en reconsidérant le rapport langues et contenus.
Les dispositifs de télécollaborations interculturelles offrent un levier, certes modeste, mais tout à fait incontournable pour cette éducation démocratique de communication et d’échanges entre les humains de la planète Terre afin que ces derniers répondent aux trois grands défis identifiés.
2 Les télécollaborations interculturelles, des dispositifs en langues depuis près de vingt ans
L’enseignement des langues s’est toujours fortement intéressé aux nouvelles technologies, et l’arrivée d’Internet depuis 1995 a permis de développer les échanges en ligne, échanges de courriels par classe, par binômes ou par groupes de façon asynchrone et synchrone, puis avec la vidéo et tous les nouveaux outils à disposition (traducteurs automatiques, reconnaissance vocale, assistants d’écriture, assistant d’idées avec les IA ). Les échanges en ligne développés dans le cadre de l’enseignement des langues ont largement essaimé dans toutes les pratiques d’enseignement et autres. C’est sous le terme d’échanges virtuels que s’inscrit désormais la recherche sur ces espaces médiés par le numérique car ils concernent tous les domaines formels et informels désormais (O’Dowd, 2018). Si prendre en compte la dissémination de pratiques dites virtuelles à l’ensemble des pratiques humaines et de leurs domaines peut avoir un intérêt, la spécificité de l’enseignement des langues au sein de l’utilisation de tels dispositifs pour l’éducation et la formation doit être précisée. En effet, pour O’Dowd & Beelen (2021) :
Virtual exchange (VE) is an umbrella term used to refer to the different ways in which groups of learners are engaged in online intercultural interaction and collaboration with partners from other cultural contexts or geographical locations as an integrated part of course work and under the guidance of educators and/or expert facilitators. (1)
Les échanges virtuels font désormais partie des pratiques pédagogiques et éducatives potentielles dans toutes les disciplines, mais il ne s’agit pas, comme l’a montré la recherche jusqu’à présent, de mettre en relation des apprenants de langues et de cultures différentes pour qu’il y ait apprentissage interculturel (Kern et al., 2004 ; Ware & Kramsch, 2005 ; O’Dowd & Lewis, 2016), tout comme les échanges physiques des apprenants dans le cadre de séjours Erasmus ne sont pas en soi une garantie de mettre à distance les stéréotypes, les généralisations sur soi et sur autrui (Murphy-Lejeune, 2000 ; Anquetil, 200 ; Gohard-Radenkovic, 2015 ; Zarate, 2001). Même si ces pratiques en ligne ou en mobilités impliquent de fait une mise en relation interculturelle, cette dernière n’est pas forcément l’actualisation d’une relation interculturelle comprise comme processus de médiation interculturelle (Liddicoat & Derivry-Plard, 2023). Si les habiletés interculturelles peuvent se développer par l’expérience implicite, la seule expérience de mobilité qu’elle soit virtuelle ou non n’en est aucunement garante et c’est exactement à cette jonction que l’enseignement des langues et des cultures a son rôle à jouer. Le curriculum des langues s’en trouve recentré sur les finalités de communication interculturelle, car l’apprentissage des langues ne peut se réduire à la connaissance des structures linguistiques mais implique une utilisation des connaissances pour communiquer avec des autres portant des langues et de cultures différentes. Les dimensions culturelles et interculturelles de l’enseignement des langues ne peuvent plus être négligées (Zarate, 1986 ; Sercu, 2005 ; Escudé & Derivry, 2023), d’autant que le développement exponentiel des outils numériques (dictionnaires unilingues et bilingues en ligne, traducteurs automatiques, reconnaissance vocale, applications et IA d’apprentissage des langues) implique non seulement ce renversement d’objectifs au sein du curriculum des langues avec la priorité donnée à la communication interculturelle, mais aussi un renversement de paradigme (de monolingue à plurilingue et pluriculturel) (Derivry, 2020). En d’autres termes, les catégories « langue maternelle » et « langue étrangère ou seconde » ne sont plus étanches du fait de la diversité croissante des apprenants et des mobilités entrantes et sortantes (Zarate et al, 2008), auxquelles s’ajoutent les télécollaborations interculturelles (Castro & Derivry-Plard, 2016 ; Bozhinova & Derivry-Plard, 2019 ; Salomão et al, 2022, Castro-Prieto et al., 2022 ; Derivry-Plard et al., 2022, Derivry-plard & Potolia, 2023). Dans ces collaborations à distance, le terme collaboration implique l’interaction nécessaire pour un but commun, qu’il soit utilitaire ou non. La télécollaboration englobe, par conséquent, la coopération si les tâches demandées peuvent être distribuées dans le groupe, ce qui nécessite un minimum d’interactions et de négociations entre les membres du groupe. La catégorie « langue maternelle » est désormais remplacée de façon plus judicieuse et adaptée par la catégorie « langue d’instruction », mais celle de « langue étrangère ou seconde » persiste et nous adoptons désormais la proposition de Dewaele (2017) de « LX » qui atténue la hiérarchie entre L1 et L2. Les télécollaborations interculturelles sont, par conséquent, des dispositifs d’enseignement-apprentissage des langues (langues d’instruction ou LX) permettant tout un ensemble de configurations pour développer les habiletés de communication interculturelles, que sont l’écoute, l’engagement dans l’interaction ; la capacité à reformuler, à expliquer un mot, une expression ; la capacité à fournir et rechercher des informations en s’appuyant sur des sources, à profiter de sa proximité avec un milieu ou contexte culturel pour mieux chercher les informations pertinentes et savoir contextualiser et critiquer ces informations ; la capacité à suspendre son jugement sur les déclarations et ou les émotions exprimées pour en rechercher les causes possibles ; et leurs implications, savoir analyser toute situation de communication pour en comprendre les limites et les ouvertures (2). Par ailleurs, ces dispositifs d’apprentissage permettent d’intégrer les notions d’autonomisation des apprenants dans leur pratiques télécollaboratives, ce qui est également une finalité essentielle de l’éducation (Gray, 2019, 2023).
Les télécollaborations interculturelles croisent donc la recherche effectuée ou diffusée en anglais en applied linguistics avec les virtual exchanges et la recherche en français avec la didactique des langues et des cultures. Ces dispositifs mettent en avant, la distance (télé) qui permet à des apprenants de se rencontrer notamment pour ceux qui n’ont pas de capital de mobilité (choisie ou contrainte) et surtout de pouvoir déployer dans un environnement sécurisé mais en place par les enseignants concernés. La collaboration permet de développer la capacité à travailler ensemble avec des autres divers linguistiquement et culturellement. L’articulation entre distance et présence (Anquetil et al., 2022) doit pouvoir également s’intégrer dans ces dispositifs qui peuvent conduire à des mobilités dans les contextes des partenaires. Elles ne s’opposent pas à toute la littérature des mobilités d’étudiants ou study abroad mais peuvent proposer un accompagnement, d’où le terme de (télé)collaborations interculturelles : le terme télé mis en avant fait simplement référence au fait qu’il est plus important en termes de quantité que les collaborations interculturelles en présence dans le domaine éducatif (séjours linguistiques). Enfin, la dimension interculturelle est centrale comme processus de médiations linguistiques, culturelles, et multimodales entre les participants. Dans ce cadre, la notion de virtuelle dans le terme virtual exchange n’est pas appropriée en français puisqu’il ne s’agit non pas d’une communication virtuelle en quelque sorte « fausse » qui s’opposerait à la réalité. Ce sens semble ne pas être inscrit dans la définition donnée par l’Oxford Learner’s Dictionaries « made to appear to exist by the use of computer software » (2021) qui s’apparente au sens premier dans le Dictionnaire Robert (2021) « qui est à l’état de simple possibilité, qui a en soi toutes les conditions essentielles à sa réalisation ». Le fait que nous communiquons directement avec des IA désormais pourrait bien correspondre au terme d’échange virtuel, mais dans le cadre des télécollaborations interculturelles, il s’agit d’humains bien réels qui utilisent la technologie pour communiquer en direct avec d’autres humains (Potolia & Derivry-Plard, 2024), et la dimension interculturelle de la communication est travaillé avec les enseignants par des médiations multiples.
3 Les pratiques de télécollaborations interculturelles du primaire à l’enseignement supérieur
Depuis 2005, la plateforme eTwinning de l’UE permet à tous les enseignants de langues et en langues du primaire et du secondaire de développer des échanges en ligne et s’insère dans les institutions nationales des systèmes éducatifs qui les pilotent. Contrairement à d’autres programmes Erasmus+ organisés sur trois ans et mobilisant des équipes multinationales de chercheurs et de praticiens, eTwinning s’apparente plus volontiers à une plateforme pérenne gérée par les administrations éducatives nationales locales de mise en lien des enseignants certifiés des différents pays. Les programmes TILA (2013-2015) et TeCola (2016-2019) ont cherché à développer le rapport formation-recherche de ces dispositifs en langues auprès principalement des enseignants du secondaire en allemand, en anglais, en espagnol et en français. Ces plateformes sont toujours disponibles comme support de formation ouvert à l’ensemble des enseignants et chercheurs, mais ne bénéficient plus de financement. La plateforme et association UniCollaboration a été créée en 2016 pour répondre aux besoins des universités et permettre également les échanges entre professeurs de langues dans l’enseignement supérieur. Les pratiques dans l’enseignement primaire sont plus récentes (Derivry-Plard et al 2022, Pennock -Speck & Clavel-Arroitia, 2023 ; Wigham & Whyte, 2024). Les pratiques de télécollaborations interculturelles pour les enseignants de langues sont aujourd’hui effectives sur tout le spectre éducatif, de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur.
3.1 Différences entre les trois niveaux
Dans le primaire et le secondaire, les enseignants bénéficient d’une même formation et de mêmes programmes, qu’ils soient nationaux comme en France avec les INSPÉ ou régionaux comme en Allemagne avec les Länder. La marge de manœuvre des enseignants est donc contrainte par les programmes, les référentiels et les évaluations considérés. En revanche, dans l’enseignement supérieur, les enseignants sont beaucoup plus divers dans leur recrutement et on observe, notamment en France, le secteur des spécialistes de langues pour les futurs enseignants de langues et traducteurs, domaine lui aussi très cadré par les préparations aux concours d’enseignement et le secteur le plus large, celui du LANSAD (LANgues pour les Spécialistes d’Autres Disciplines) où la marge de manœuvre des enseignants peut s’avérer plus conséquente pour insérer ce type de pédagogie des télécollaborations interculturelles dans leurs enseignements. De plus, les droits à l’image et des données sont beaucoup plus strictement réglementés pour le primaire et le secondaire que dans le supérieur LANSAD. En fonction de l’autonomie des apprenants avec les outils numériques, des variations notables sont à l’œuvre puisqu’il s’agit, également dans ce type de dispositifs, d’accompagner les apprenants dans une utilisation variée et adéquate de ces outils.
3.2 Similarités entre les trois niveaux
Il n’existe pas de formation dédiée aux télécollaborations interculturelles dans les cursus de formation des futurs enseignants de langues et en langues du primaire à l’université. Il s’agit par conséquent de sessions de formation continue, et d’auto-formation. Leur mise en place repose sur l’investissement des enseignants et de leurs partenaires. Par ailleurs, ces dispositifs nécessitent une bonne connexion Internet, des échanges synchrones et asynchrones, du travail en groupe, en binômes et en regroupement de classes, ainsi qu'un journal d'expérience par participant pour travailler la réflexion et la réflexivité par rapport à l'expérience. Il est également requis que le travail collaboratif en ligne par groupes, en dehors de l’enseignant, soit possible grâce à un drive gratuit, et qu'un Padlet commun permette de suivre, au niveau de l’ensemble du dispositif, les productions des différents groupes ou binômes, et de conserver un historique du travail des enseignants. La formation aux télécollaborations interculturelles se co-construit par l’implication des enseignants concernés dans leur co-élaboration du dispositif. Ils participent ainsi à une auto-co-formation entre pairs : comment insérer cette télécollaboration dans son écosystème éducatif et de formation, et l'adapter aux programmes et aux évaluations respectifs ; développer ainsi ses compétences en langues dans son domaine professionnel ; apprendre sur la culture de l’autre et apprendre à médier les incertitudes inhérentes à ces espaces tiers. Par ailleurs, le fait qu’il s’agisse de dispositifs élaborés par au moins deux enseignants permet une mutualisation des ressources. Par exemple, il peut s’agir d’un assistant chez un partenaire qui va venir accompagner l’ingénierie de l’ensemble du dispositif, ou des visioconférences organisées et intégrées au dispositif par un autre partenaire ou encore la gestion des certificats de réussite par un autre. Cela permet de partager l’ingénierie pédagogique entre les enseignants et de réduire la charge de travail respective lors de dispositifs reconduits.
3.3 Les apports des télécollaborations interculturelles
Les apports curriculaires de ces dispositifs sont de revitaliser tout d’abord l’enseignement des langues et des cultures en se focalisant en priorité sur la communication interculturelle. Dans le même temps, ils sont potentiellement des leviers pour l’ensemble des curricula pour y développer ce que des chercheurs identifient comme une perspective plurilingue et pluriculturelle de l’éducation (Zarate et al, 2008 ; Alao et al., 2008 ; Alao et al., 2012 ; Derivry-Plard et al., 2014a, 2014b, Liddicoat & Derivry-Plard, 2023). En effet, selon cette perspective, tout contenu s’effectuant dans une langue, le choix de la ou des langues par les enseignants de langues ou d’enseignants d’autres contenus disciplinaires pour la mise en place d’un dispositif de télécollaboration interculturelle implique l’insertion de travaux utilisant une ou des langues qui ne sont pas forcément les langues d’instruction des pays partenaires ainsi que la possibilité pour les apprenants de développer des habiletés interculturelles implicites au sein de ces espaces tiers. Les recherches en ce domaine restent embryonnaires pour les enseignants en langues (CLIL ou Emile) qui s’approprient les télécollaborations interculturelles. L’auto-coformation est d’autant plus fragile qu’ils n’ont pas été formés aux questions linguistiques et encore moins aux questions culturelles et interculturelles. Or, ce type d’échanges pédagogiques sur des matières comme la géographie, l’histoire ou la biologie existe à tous les niveaux éducatifs (primaire, secondaire, tertiaire) et implique l’insertion des langues et des cultures dans des programmes disciplinaires (Escudé & Derivry-Plard, 2022).
3.4 Les apports pour le curriculum des langues
Louis Porcher reste une référence incontournable pour le FLE qu’il a construit avec d’autres dans les années 1970-1980. Il aimait reprendre cette phrase en forme de boutade ou de provocation du sociologue Pierre Bourdieu « Le cours de langue est un cours où l’on parle pour ne rien dire » (3) et qui reflète en grande partie un paradoxe de l’enseignement des LX. De façon classique, le cours de langue est d’abord un cours où l’on parle sur la langue et non pas avec la langue : on explique les mots, les sons, les phrases, puis les paragraphes et les textes dans la langue d’instruction, puis, depuis plus récemment, on le fait aussi dans la LX, parfois même exclusivement en LX, avec des injonctions parfois tout aussi péremptoires et extrêmes de la part des encadrements hiérarchiques, des familles ou des apprenants. Les supports de cours ne sont-ils pas là pour permettre d'aborder les thèmes qu'ils proposent, mais aussi et surtout pour consolider et réviser les structures de la langue ? Où est la communication « authentique » lorsqu’il s’agit de jeux de rôles ou de simulations avec des apprenants qui disposent tous de la même langue d’instruction ? Pourquoi parler une autre langue alors qu’il existe déjà une langue commune ? Si les enfants savent se prêter au jeu, celui-ci devient plus difficile à mesure que l’âge et les compétences avancent, sans pour autant devenir impossible. Mais qu’en est-il de la dimension culturelle et interculturelle de l’exercice de la classe de langue, notamment homoglotte ? Aborder un fait de culture en classe de langues se déploie bien souvent par l’insertion d’un document authentique qui est décomposé et commenté entre apprenants d’un même contexte classe, perçu généralement comme monoculturel. La rencontre avec l’autre est absente alors qu’il s’agit de la finalité même du cours de langues : communiquer avec les autres. Le cours de langues dans son historicité est bien le fruit d’artifices assez élaborés et les dispositifs de télécollaborations interculturelles participent justement à une reconceptualisation de ce cours de langue LX classique organisé selon les principes suivants :
Un enseignant de LX et ses apprenants de LX dans un pays
Le modèle du locuteur « natif » comme finalité « idéale » de la maîtrise de LX
Un focus sur la dimension linguistique ; la structure de la langue (grammaire, vocabulaire, phonétique) avec de la communication simulée ou actionnelle par la réalisation de tâches. La culture est généralement prise en compte comme dimension additionnelle et non centrale au cours de langue et elle est comprise comme connaissance « sur » et non comme connaissance « avec » ou « par » l’expérience.
À ces principes du cours de langue classique, les télécollaborations interculturelles opposent les principes suivants :
Deux enseignants de LX et leurs apprenants de LX d’au moins deux pays
Le modèle plurilingue du locuteur interculturel (fluidité des positions entre celle du locuteur « natif » et celle du locuteur « non natif » et des langues) comme finalité de la communication interculturelle (Derivry-Plard, 2015, pour la question des représentations ou idéologies de langues concernant « l’enseignant natif »)
Un focus sur la communication authentique entre locuteurs de langues et de cultures différentes (Kohn, & Hoffstaedter, 2017)avec des tâches collaboratives (apprendre à travailler ensemble et à s'enrichir mutuellement), recherche de l’intelligibilité la plus précise en fonction du niveau de LX où cette intelligibilité croise autant les questions culturelles que linguistiques. Les tâches sont réalisées en groupes multiculturels impliquant les habiletés d’écoute, de formulation, reformulation, explication, de patience, de négociation de sens, de compréhension des discours « avec » les autres et « par » ses expériences des autres.
Les télécollaborations interculturelles sont des dispositifs qui revitalisent l’enseignement des langues dès qu’elles font partie des pratiques curriculaires et non plus seulement des pratiques initiées par la bonne volonté des enseignants. Elles permettent potentiellement de bouger les lignes en associant aussi bien les langues d’instruction aux LX que différentes LX dans des dispositifs élaborés pour de la communication interculturelle et d’intercompréhension en plusieurs langues.
Enfin, pour les enseignants de disciplines autres que les langues, elles enrichissent leurs répertoires pédagogiques et favorisent l'ouverture formative des apprenants en multipliant les expériences interculturelles et en enrichissant les appropriations disciplinaires par d'autres perspectives linguistiques et culturelles de la discipline et de son enseignement.
4 Vers une modélisation des télécollaborations interculturelles pour les enseignements de langues et en langues
4.1 Configuration interculturelle 1 :
Ce type de dispositif fait référence à la pratique des penfriends ou correspondants que les enseignants de langue encourageaient auprès de leurs apprenants dans la lignée des correspondances scolaires de Freinet.
Il s’agit d’une configuration tandem entre des locuteurs « natifs » : chacun parle sa langue et sa LX. Cette configuration permet de communiquer directement avec des locuteurs « natifs » (finalité traditionnelle de l’enseignement des langues) et d’être soi-même à un moment donné le locuteur « natif ». L’apprentissage est double : celui de communiquer avec un locuteur « natif » et celui de communiquer en tant que locuteur « natif » avec un apprenant.
Fig 1 : Configuration interculturelle 1
Il s’en suit une réciprocité dans l’usage de LX et de la L1, et dans la mise en relations des cultures cibles. Tout est tandem d’un point de vue des locuteurs, des langues et des cultures cibles. Autrement dit, par exemple, des apprenants de Français en Allemagne avec des apprenants d’Allemand en France travaillent ensemble sur différentes tâches en français et en allemand selon des modalités réciproques sur les questions linguistiques et culturelles. Dans cette configuration, les objectifs peuvent être très variables et ne concerner qu’une, deux ou l’ensemble des cinq compétences langagières (écouter, parler, lire, écrire et interagir-médier). C’est dans cette configuration que s’inscrivent naturellement des travaux d’intercompréhension, dont le but est avant tout de décoder l’oral et/ou l’écrit de la langue de l’autre. Dans ce cadre, le locuteur « natif » de hollandais parle ou écrit sa langue et le locuteur « natif » d’allemand fait de même, et seules les compétences réceptives sont en action et correspondent également au principe de réciprocité : chacun s’exprimant dans sa langue de confort. Les pratiques d’intercompréhension s’inscrivent dans ce dispositif Tandem qui n’est donc pas limité à deux langues, puisque que l’on peut avoir notamment pour les langues romanes, de multiples langues travaillées dans le même temps (Caddéo & Jamet, 2013 ; Escudé & Janin, 2010).
4.2 Configuration interculturelle 2 :
Ce type de dispositif fait référence à la réalité sociolinguistique du monde qui fait que l’on ne communique pas uniquement avec des locuteurs « natifs » de la langue que l’on apprend. Ce type de dispositifs s’est beaucoup développé pour l’enseignement de l’anglais du fait du désintérêt de l’enseignement des langues dans les pays anglophones et de la forte demande internationale pour l’anglais. Toutefois, selon une perspective plurilingue et pluriculturelle, le postulat s’élargit car toute langue est potentiellement une lingua franca en fonction des situations de communications et des interlocuteurs en présence selon leurs répertoires linguistiques. Par exemple, une professeure d’allemand en France va communiquer en allemand avec son homologue japonais etc. :
Fig 2 : Configuration interculturelle 2
De façon plus précise dans cette configuration, prenons, par exemple, des apprenants d’anglais d’Allemagne et de France : ils communiquent en anglais et sont dans la réciprocité de leur apprentissage de l’anglais, la langue cible ou leur LX. Une même langue d’apprentissage, mais dans ce cadre, nous avons deux cultures en présence, celles des interlocuteurs qui s’expriment en anglais et qui peuvent permettre une meilleure compréhension des contextes culturels dans lesquels ils s’inscrivent. Selon les tâches et les projets proposés, ces groupes multiculturels peuvent aborder des discussions sur toute thématique culturelle. Dans ce cadre, il s'agit, selon la langue cible choisie, de multiplier les expériences de communication interculturelle avec des locuteurs de langues, d'accents et de cultures différents, et de les solliciter sur leurs apports et ressources culturelles dans la communication, afin d'élargir les horizons de pensée et de perception. Ne les faire travailler que sur « le rêve américain » si la LX est l’anglais, sans prendre en compte la réception et les discours attenants à cette notion de part et d’autre du Rhin serait une occasion manquée d’autant que l’usage de l’anglais ne requiert pas que l’on ne cible que des éléments culturels du monde anglophone (4). Or, l’utilisation d’une langue comme lingua franca, ce qui s’est toujours fait dans l’histoire de l’humanité, n’implique pas que l’on ne parle que de la « culture » de cette langue ! Il en va d’ailleurs de toute langue utilisée comme lingua franca, qui peut être l’une des « grandes » langues de communication internationale comme le français, l’espagnol, ou le portugais, le chinois ou l’allemand, mais toute langue même modime comme le yorubà ou le quechua peuvent, selon les circonstances communicatives des locuteurs, devenir une lingua franca. Les éléments culturels affiliés à cette lingua franca ne sont dès lors plus la priorité, car ce qui devient premier est bien l’interaction et l’interconnaissance des participants avec leurs cultures et leurs langues au moyen de la lingua franca.
4.3 Configuration interculturelle 3
Les réalités sociolinguistiques étant complexes dès qu’elles mettent en relation des locuteurs de langues différentes, les mises en place de dispositifs de télécollaborations interculturelles peuvent l’être tout autant et, de fait, reflètent cette complexité des situations de communication, de locuteurs aux répertoires plurilingues très divers.
Dans ce cadre, on peut imaginer l’exemple suivant :
Un apprenant français de France communique en anglais avec un apprenant allemand d’Allemagne : la communication s’organise en anglais, lingua franca, et en français, langue de travail. Pour les apprenants de France, l’apprentissage de la langue cible est uniquement l’anglais et pour les apprenants d’Allemagne, il y a deux langues cibles, l’anglais et le français. Les apprenants de français dans la session tandem apprennent à communiquer en français avec des apprenants français qui, eux-mêmes, développent leurs compétences à parler français avec des apprenants de français.
Le dispositif est hybride puisqu’il permet un apprentissage en lingua franca et en partie en tandem et permet également, par la présence de deux cultures, d’explorer différentes facettes de l’interculturalité au moyen d’une lingua franca ou au moyen d’un interlocuteur « natif » :
Fig 3 : Configuration interculturelle 3
Cette configuration est certes complexe à mettre en place, mais elle permet de travailler des langues moins utilisées, comme le français, dans ce cas précis. (5) Elle préfigure également la complexité croissante des environnements multilingues et multiculturels. En effet, lors d’une réunion dans un contexte international, l’anglais peut être utilisé comme lingua franca, puis les tâches sont distribuées en fonction des compétences en langues des participants, un groupe pourra travailler en français, un autre en allemand et un autre encore en arabe avant de faire un bilan commun en anglais si nécessaire.
Ces différentes configurations interculturelles reflètent bon nombre de situations de communications interculturelles des sociétés de plus en plus diverses et de plus en plus en contact du fait du numérique et des IA. Elles sont, par conséquent, des dispositifs réalistes de communication interculturelle sur lesquels les curricula en langues devraient pouvoir se reconceptualiser (Escudé & Derivry-Plard, 2020, Derivry-Plard, 2025).
4.4 Les télécollaborations interculturelles comme levier pour un curriculum plurilingue
Un curriculum plurilingue peut se concevoir selon des dispositifs de télécollaborations interculturelles aux configurations tandem/lingua franca/hybrides. Il permet de croiser les enseignements de langues et en langues de et en cultures variées. Il priorise la formation initiale et continue des enseignants, ainsi que des formateurs de langues et en langues.
Aux configurations 1, 2, 3, peuvent d’ajouter :
Plus de langues, plus de LXs, plus de cultures, plus de CXs
Des articulations (L1s) aux langues d’apprentissages LXs, de C1s à CXs
Des modalités d’intercompréhension de plusieurs langues et de cultures en même temps
Un curriculum plurilingue construit à partir de dispositifs de télécollaborations interculturelles selon les configurations précédentes présente des objectifs fortement différenciés :
Les objectifs linguistiques, culturels, interculturels et de communication sont premiers lorsqu’il s'agit d'enseignement/apprentissage des langues et des cultures.
Les objectifs linguistiques, culturels, interculturels et de communication sont seconds lorsqu’il s'agit d'enseignement/apprentissage en langues et en cultures, les objectifs premiers étant les contenus disciplinaires.
Il ressort de ce tableau exploratoire d’un curriculum des langues que les dispositifs de télécollaborations interculturelles selon les différentes configurations activent potentiellement un levier profond pour inscrire le plurilinguisme et le pluriculturalisme au cœur de l’enseignement des langues et de l’éducation en général. En effet, le curriculum des langues s’adresse non seulement aux enseignants de langues mais à la formation en langues des enseignants d’autres disciplines dès qu’ils s’intéressent à des échanges par eTwinning ou par eux-mêmes. Si les compétences interculturelles sont transverses, le curriculum des langues tel qu’il vient d'être présenté renversent les objectifs jusqu’alors assignés à l’enseignement des langues et des cultures : l’objectif premier est de développer les compétences de communication interculturelles, qui sont certes soutenues et étayées par les langues.
5 Un curriculum plurilingue/pluriculturel pour une éducation démocratique
Un curriculum des langues, conçu dans une optique plurilingue et pluriculturelle, œuvre à une éducation démocratique, dans la mesure où il ne vise pas à uniformiser la réflexion sur un objet éminemment politique et contextualisé qu’est l’éducation, mais à susciter un pluralisme théorique. (Scarino, 2019 : 59). Le curriculum comme proposition ouverte n’est pas une application, une mise en place, mais un dialogue avec l’ensemble des acteurs (apprenants, enseignants, administrations, familles, société civile …). En ce sens, il s’agit d’une conceptualisation collective du curriculum comme conversation démocratique entre les différents acteurs concernés.
Un curriculum plurilingue/pluriculturel pour une éducation démocratique résulte d’une co-construction des programmes adaptée aux interlocuteurs enseignants et apprenants d’autres langues et cultures et d’autres pays, créant notamment par les télécollaborations interculturelles des micros communautés de pratiques tout en respectant les cadres légaux nationaux. Cela induit entre les acteurs considérés :
La négociation de pratiques communes sur la définition des objectifs, des tâches, des projets, des différenciations, des ludifications, des approches didactiques, des valeurs éthiques et démocratiques.
L’analyse précise et commune des ressources de la Télécollaboration interculturelle en termes humains, de répertoires linguistiques et culturels, d’expertises de médiations et en termes techniques (p. ex. Zoom, google Classroom, WhatsApp, Moodle).
L’émergence d’une citoyenneté interculturelle (Porto, 2014 ; Byram et al, 2016 ; Derivry-Plard, 2020), mise à l’épreuve par l’expérience des télécollaborations interculturelles puisqu’il s’agit de trouver les points communs, les intersections possibles dans les limites contextuelles de bouger les lignes, de développer les processus de multi-médiations
D’un point de vue plus large encore, un curriculum plurilingue/pluriculturel pour une éducation démocratique prend en compte :
L’éducation par l’école ou l’apprentissage (formel) et par les familles (apprentissage non formel) ou l’auto-apprentissage (Malet & Derivry-Plard, 2023).
Toutes les langues, celles qui sont enseignées à l’école et celles qui ne le sont que dans les familles et les environnements sociaux des locuteurs (toutes les variétés de langues et de contacts).
Les littératies scolaires dans leur relation avec les familles et les locuteurs, quels qu’ils soient.
Pour atteindre ces objectifs de haut niveau, un curriculum plurilingue/pluriculturel pour une éducation démocratique cherchera à identifier :
L’apport des littératies (pluri-littératies) (connaissances fondamentales dans les domaines de la lecture et de l’écriture, dans les différentes disciplines, permettant à une personne d’être fonctionnelle en société)
L’inégal accès aux littératies afin de diminuer ces inégalités, et l’inégalité symbolique des littératies elles-mêmes.
Le monolinguisme/monoculturalisme de l’enseignement/apprentissage des langues et en langues quels que soient les systèmes éducatifs (même bilingues ou multilingues)
Enfin, un curriculum plurilingue/pluriculturel pour une éducation démocratique propose d’imaginer les contours d’une citoyenneté interculturelle :
Il pose les objectifs et les finalités de l’éducation, du développement personnel et collectif.
À la doxa de l’employabilité, de l’instrumentalisation des langues, des cultures et des êtres humains (considérés comme un capital humain de production), ainsi que des valeurs managériales, il oppose une perspective résolument citoyenne et mondiale, qui consiste à œuvrer pour le bien commun, au-delà des nations (du nationalisme) et de l’argent (du néolibéralisme mondial), en partant des droits linguistiques et humains (Skutnabb-Kangas et al., 2009), sans lesquels il est impossible de déployer une citoyenneté « globale », ou plus exactement interculturelle.
Inscrit dans les problématiques de la citoyenneté « globale », il travaille « l’inter », et le « pluri » entre les cultures en présence, au-delà des cultures nationales, des cultures de l’argent et de tout forme d’essentialisme.
Il questionne l’universalité et travaille la pluriversalité.
Il accompagne les processus de décolonialisation de la recherche, notamment en langues, en postulant l’égale valeur des langues (ce qui ne signifie par l’égale valeur des registres, des contenus, des discours).
Les (télé)collaborations interculturelles sont des dispositifs pédagogiques complexes à l’image de la communication humaine dès qu’elle comprend des locuteurs de langues et de cultures différentes, ce qui, dans le développement des technologies, des migrations et des mobilités, s’avère de plus en plus pertinent. Elles représentent donc des leviers potentiels pour reconceptualiser le curriculum des langues selon une perspective plurilingue et pluriculturelle au plus près des acteurs. Elles s’avèrent incontournables pour accompagner un curriculum plurilingue/pluriculturel, constituant une dimension, elle-même incontournable, pour une éducation démocratique respectueuse de la diversité des parcours linguistiques et culturels des apprenants, des enseignants et de tous les locuteurs dans des écosystèmes reliant nano-micro-méso-macro.
Les (télé)collaborations interculturelles répondent aux enjeux éducatifs et démocratiques de demain en permettant à des apprenants et à des enseignants du monde entier de travailler ensemble sur des questions telles que le climat, les inégalités et les exclusions structurelles, les droits humains et démocratiques, dans un contexte numérique marqué par l'intelligence artificielle.
En effet, dans la mesure où ces dispositifs engagent l’éducation et la formation à prendre au sérieux la communication par les langues et les cultures, ils favorisent les connaissances, les savoir-faire, les savoir-être et les savoir-apprendre entre locuteurs de langues et de cultures différentes afin qu’ils dialoguent, construisent de la signification et du sens entre interlocuteurs, et trouvent ensemble les solutions aux défis planétaires qui les attendent.
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Autrice :
Martine Derivry-Plard
Professeure des Universités
Université de Bordeaux, LACES, UR 7437
F-33000 Bordeaux
France
Courriel : martine.derivry@u-bordeaux.fr
ORCID : https://orcid.org/0000-0003-4520-4181
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(1) Notre traduction :
Les échanges virtuels (EV) sont un terme générique utilisé pour désigner les différentes manières dont des groupes d'apprenants sont engagés dans une interaction ou collaboration interculturelle en ligne avec des partenaires issus d'autres contextes culturels ou lieux géographiques, dans le cadre intégré d’un cours et sous la direction d'éducateurs et/ou de facilitateurs experts.
(3) Discours oraux repris lors de cours, séminaires ou conférences.
(4) Nous avions pu observer cela chez des enseignants d’anglais en France, dans le cadre des programmes TILA et TeCoLa, car ces programmes limitaient la dimension culturelle de l’enseignement de l’anglais au monde anglophone.
(5) Ce type de dispositif avait été imaginé lors des programmes TILA et TeCoLa pour permettre aux apprenants de langues néerlandais d’optimiser leur apprentissage des langues autres que l’anglais.